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Le Recueil des Vertus de la Médecine Ancienne, ou les vertus d’une approche croisée entre médecine et histoire

Autore


Bertrand Graz - Vincent Barras

Université Lausanne

BERTRAND GRAZ Institut universitaire de médecine sociale et préventive, CHUV-UNIL, Lausanne /// VINCENT BARRAS Institut universitaire d’histoire de la médecine et de la santé publique, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) et Faculté de biologie et de médecine, Université de Lausanne (UNIL) d’histoire de la médecine et de la santé publique, CHUV-UNIL, Lausanne

Indice


  1. Introduction
  2. Le contenu du livre
  3. Quel est l’intérêt du Recueil des Vertus?
  4. L’intérêt historique du Recueil des Vertus
  5. L’intérêt médical du Recueil des Vertus

 

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S&F_n. 13_2015

Abstract



Towards the end of the 20th Century in Mauritania, Mohammed Beïba Ould Maqari («Al-Maqari») wrote a treatise of Greek-Arab medicine, combining traditional theories dating back to Hippocrates, Galen and Avicenna with comments based on contemporary practice in the Western Sahara. The result is a document of the present–day practice and teaching of the written therapeutic tradition of the Sahara/West Africa, which may be compared to so-called ”Unani medicine” in its eastern extension in Pakistan and India. Far from being a dogmatic statement, the treatise stresses the importance of practical experience whilst engaging a constant dialogue with various authors throughout history. This article invites readers to join in an open reflection, confronting an historical medical tradition with their own experiences. In this spirit, the Ould-Maqari clinic, near Nouakchott, the capital of Mauritania, was subjected to a rapid assessment of safety and effectiveness which is also presented here. The result was joint consultations with Greek-Arab and modern practitioners which endeavor to offer patients the best possible care taken from both medical systems.


  1. Introduction

Le Recueil des Vertus de la Médecine Ancienne (abrégé ci-après en «Recueil des Vertus»), ouvrage mauritanien de médecine gréco-arabe, est à la fois inscrit dans notre époque contemporaine et redevable d’une tradition plus de deux fois millénaire. Rédigé à la fin du vingtième siècle au sein d’une lignée de médecins dits «traditionnels», ce document permet de comprendre comment un art médical est pratiqué aujourd’hui en Mauritanie par les dépositaires d’une tradition qui remonte à l’époque hippocratique, toujours vivace sous cette forme dans la partie occidentale du désert de Sahara. Il existe plusieurs copies manuscrites du Recueil des Vertus, en possession de l’une des principales familles de praticiens traditionnels de ce pays, la famille Ould Maqari. On trouve aussi une version imprimée, éditée par le fils de l’auteur[1].

Dans les premières années du 21ème siècle, une équipe de Médecins du Monde (Suisse), dont faisait partie l’un des auteurs (B. Graz) a mené en Mauritanie une enquête sur les pratiques de médecine traditionnelle dans l’Ouest du Sahara. Celle-ci visait à améliorer les relations entre praticiens des médecines traditionnelles et occidentales, souvent empreintes d’une méfiance, voire d’un mépris éprouvé réciproquement. L’enquête a fourni l’occasion de faire la rencontre du chef de file des praticiens de la famille Ould Maqari, et d’organiser une recherche clinique évaluant les résultats obtenus chez des patients traités dans l’établissement de la famille, installé aux portes de la capitale Nouakchott. A la suite de cette enquête, des réunions hebdomadaires ont été instaurées entre praticiens des deux systèmes de santé, au cours desquelles les patients posant problème aux uns étaient présentés aux autres dans une atmosphère de confiance rétablie. Notre intérêt a ainsi été attiré sur le Recueil des Vertus, texte de référence de la famille Ould Maqari, fondé sur la tradition médicale dite gréco-arabe, et enrichi par les observations accumulées dans la pratique quotidienne.

  1. Le contenu du livre

En Mauritanie d’aujourd’hui, le choix entre les manuels de médecine gréco-arabe se limite pour l’essentiel à deux sources: le Recueil des Vertus qui nous occupe ici et le ‘Umda Awfa (ou «Manuel d’Awfa»). Ce dernier, datant d’avant 1850, est utilisé par la famille Awfa (une autre grande famille de praticiens mauritaniens). De larges parties en ont été traduites et publiées en français en 1943 par l'Institut Français d'Afrique Noire de Dakar[2], sous l’impulsion de l’inlassable explorateur de la Mauritanie que fut Théodore Monod[3]. Le ‘Umda Awfa est constitué pour l’essentiel de connaissances livresques transcrites en une forme poétique. Dans sa forme originale et complète, il n’existe qu’en manuscrit.

Le Recueil des Vertus s’inscrit dans la lignée du ‘Umda Awfa, qu’il cite abondamment, de même qu’il cite également à de nombreuses reprises des ouvrages d’auteurs plus anciens (de Daoud al-Antaki, Avicenne et Galien jusqu’à Hippocrate). Après une première partie générale, exposant les principes de la théorie des humeurs et des tempéraments et traitant aussi des questions déontologiques, éthiques ou juridiques relatives à l’art de la médecine (le prix des prestations, ce qu’il est permis de voir au médecin, le secret médical … ), une deuxième partie passe en revue la pharmacopée utilisées, d’origine végétale, minérale ou animale, et une troisième partie décrit dans le détail les maladies «de la tête aux pieds» et du corps entier ainsi que leurs traitements, pour terminer avec quelques curiosités médicales (recettes, conjurations … ).

Une équipe de traducteurs de langue maternelle arabe-hassanyia (soit la variété parlée en Mauritanie), composée d’un médecin, d’un géographe et d’un historien, s’est attachée à traduire sous notre supervision l’ensemble du Recueil des Vertus. Celui-ci paraît accompagné d’une introduction et de notes, qui ont bénéficié du concours de spécialistes de langue et civilisation arabe, d’anthropologues, de professionnels de la santé, d’historiens de la médecine, de botanistes et de chimistes[4].

  1. Quel est l’intérêt du Recueil des Vertus?

On affirme généralement que la médecine gréco-arabe savante ne serait plus pratiquée depuis longtemps sous sa forme «savante», à l’exception notable de la médecine unani, implantée depuis plusieurs siècles au Pakistan et en Inde, et qu’elle ne persisterait ailleurs dans le monde arabe que sous la forme d’une médecine «populaire» de tradition orale. L’examen attentif du Recueil des Vertus, texte de médecine savante édité et publié à la fin du 20 siècle, et objet d’une pratique contemporaine, est susceptible de corriger cette opinion. De plus, il s’agit du type même de document capable de contribuer à l’instauration d’une communication améliorée telle que les anthropologues de la santé la préconisent lorsque soignants et patients ne sont pas de la même culture[5], et d’offrir plus généralement une clé d’importance non négligeable pour la compréhension du monde arabo-musulman et de la vie dans le Sahara.

Le Recueil des Vertus, de ce point de vue, est susceptible de soulever l’intérêt de spécialistes de domaines très divers: médecins et professionnels de la santé, historiens et philosophes de la médecine, anthropologues. À titre d’exemple, deux perspectives de recherche ouvertes par cet ouvrage sont présentées ici: la perspective historique et la perspective médicale.

  1. L’intérêt historique du Recueil des Vertus

Les études portant sur la médecine «gréco-arabe» (terme qui peut également désigner la «médecine arabe» de tradition savante, dont l’âge d’or est généralement situé par les historiens autour de l’an 1000 de notre ère) se rapportent presque toutes à la période médiévale[6]. Celles qui traitent des périodes ultérieures restent rares, et décrivent en général un retrait progressif, amorcé au 13ème siècle et accentué à la suite des invasions ottomanes et du contact avec la médecine coloniale européenne[7]. Plusieurs ouvrages étudient l’apport des sources antiques, notamment hippocratiques (5e-3e siècle avant J.-Chr) et galéniennes (2-3e siècle après J.-Chr.), à la médecine arabe médiévale, qui de ce fait, est également qualifiée de «gréco-arabe»[8]. Quelques textes médicaux fondamentaux de «l’âge d’or» de cette dernière existent en traduction française, voire en version bilingue (un bel exemple étant le Poème de la médecine d’Avicenne[9]). Pourtant, il existe dans les bibliothèques du monde arabe un très grand nombre d’ouvrages classiques comportant des annotations plus tardives, jusqu’au 19ème siècle voire au-delà, signe de sa perpétuation – dont l’histoire reste à faire – dans les cercles savants[10].

Les formes modernes de cette tradition gréco-arabe ont fait l’objet d’études presque exclusivement vouées à sa zone d’extension orientale, dans le Sous-Continent indien[11]. On trouve des travaux anthropologiques comparant les divers systèmes médicaux en vigueur[12], des écrits de praticiens de médecine unani (l’adjectif arabe «unani» signifie «grec») décrivant certains traitements[13] ou donnant la biographie d’éminents praticiens[14]. C’est en effet dans le Sous-Continent indien que la tradition est restée la plus visible: au début du 21e siècle, on compte par exemple en Inde 38’000 praticiens déclarés, 170 hôpitaux et 27 établissements d’enseignement[15]. Au Pakistan, il existe une Fondation liée à la manufacture de médicaments unani (600 produits différents) qui soutient des établissements d’enseignement et la publication de revues spécialisées, dont Hamdard medicus et le Journal of the Pakistan Historical Society[16].

Contrairement à la situation européenne, où les théories et pratiques médicales (telle la fameuse saignée) fondées sur le système humoral et les qualités premières (oppositions chaud-froid et sec-humide) ont progressivement disparu à partir du 18ème siècle, des systèmes explicatifs analogues se retrouvent aujourd’hui dans des régions aussi éloignées que la Malaisie, l’Amérique latine et la Chine. Ce constat, qui offre l’occasion de réfléchir sur la possibilité de l’’existence de modalités fondamentales, voire «universelles» de penser et de pratiquer le corps humain à partir de sa perception «fluidiste», a donné lieu à toute une littérature, insistant notamment sur les problèmes de traduction et d’équivalences. On tente par ailleurs d’établir (ou d’invalider) la distinction entre les modes de pensée soi-disant «savants» (ou professionnels) et «populaires». Les anthropologues ont ainsi pu observer comment, en Iran par exemple, la médecine de tradition «islamo-galénique» a décliné pendant le 20ème siècle en tant que pratique professionnelle, mais continue d’imprégner les soins au sein de la famille[17].

Le Recueil des Vertus constitue également un document de de grand intérêt pour l’étude des liens entre des textes de l’Antiquité et de l’époque arabe et leur reflet au sein de pratiques contemporaines. Ainsi, le rapprochement saute aux yeux entre un texte tel que cette énumération des tempéraments (soit des mélanges humoraux que le médecin doit connaître) par le médecin grec du 2e siècle de notre ère Galien:

«En tout, il y a dans les tempéraments neuf sortes différentes, une qui est bien tempérée, et les huit autres qui ne le sont pas: quatre simples, humide, sèche, froide et chaude, quatre autres composées, humide en même temps que chaude, sèche en même temps que chaude, froide en même temps qu’humide et froide en même temps que sèche».

[Galien, Tempéraments, (K 1, 559) trad. T. Birchler et V. Barras, Lausanne 2015 (à paraître)])

…et ce passage tiré du Recueil des Vertus, plus de 1800 ans plus tard:

«Il y a un grand débat autour de la composition des humeurs dans le corps et leur mélange, ainsi que sur leur proportion chez les individus. Selon ces proportions, la plupart des théories classent les humeurs dans l’ordre suivant: le sang, le phlegme, la bile jaune puis la bile noire. On a toujours pensé que les quatre humeurs s’égalisent dans le corps et que l’excès de chaque humeur provoque un problème de santé. Il n’est pas faux de dire que l’excès est mauvais, mais cela n’implique pas forcément qu’il y ait au préalable une égalité des humeurs dans le corps».

Le praticien réactive, en l’explicitant, le principe, fort complexe en réalité, élaboré par Galien et repris par la médecine médiévale européenne , qui prévoyait – outre les tempéraments (ou mélanges) simples, caractérisés par l’excès d’une humeur au sein d’un individu –, une série de tempéraments composés de deux humeurs prédominantes. Notre médecin mauritanien, conscient que la question a été très débattue avant lui, propose un système qui tienne compte non seulement des types de mélange, mais aussi des valeurs respectives de chacune de ces humeurs, la meilleure étant, selon lui et «la plupart des théories», le sang, et la moins bonne la bile noire (ou mélancolie).

De manière plus générale, la lecture des principes théoriques et des détails des recommandations thérapeutiques tels qu’ils sont énoncés par notre auteur permet de définir avec plus d’évidence ce que signifie, du point de vue historique, une tradition: respecter avec un soin parfois sourcilleux la continuité d’un système dont on a pleinement conscience et dont on énonce régulièrement les principes que l’on assure suivre sans faillir, sans pour autant s’empêcher d’adapter à la fois ce système aux contingences locales, et en même temps intégrer les «nouveautés» (comme par exemple à chaque fois que de nouvelles substances sont importées localement par les commerçants) au sein d’un cadre stabilisé. La tradition maintenue, dans ce cadre, sert de socle de reconnaissance partagée et de système permettant d’asseoir l’autorité du praticien. Le Recueil des Vertus, autrement dit, permet de prendre une mesure précise des effets de continuité – une continuité extraordinairement longue, de près de 2500 ans si l’on tient compte des premiers textes hippocratiques énonçant les principes de la médecine humorale – et de changement. Il permet aussi de saisir, sur le vif pour ainsi dire, l’articulation étroite, voire la (con)fusion entre ce que l’on sépare habituellement dans les deux catégories de la «théorie» et de la «pratique». Un aspect de l’ouvrage des Ould Maqari qui retient également l’attention est leur façon d’insister sur la preuve obtenue par la pratique et les procédés empirique, et d’éviter de la sorte tout dogme figé. L’auteur du Receuil des Vertus, faisant dialoguer les écrits de ses prédécesseurs entre eux et sa vaste expérience de soignant, propose un ouvrage de réflexion ouverte, invitant les lecteurs à poursuivre leurs propres expériences.

  1. L’intérêt médical

Le Recueil des vertus forme un tout avec la pratique – c’est du moins ainsi que le praticien Mohammed Yeslem le présente. Les Ould Maqari travaillent toujours à deux, frère et sœur. Durant les visites effectuées lors de notre enquête, le frère est le porte-parole du tandem, la sœur reste la plupart du temps silencieuse. Arrêtons-nous dans l’espace de consultation, au moment où un malade arrive (encart ci-dessous).

Nous sommes affalés sur d’immenses coussins posés sur les bords d’un grand tapis, l’ameublement habituel des tentes de nomades que chaque Mauritanien reproduit quand il prend ses quartiers, toujours provisoires comme la vie elle-même. Le patient, un homme d’une quarantaine d’années, est invité à s’asseoir sur le tapis, placé devant la bibliothèque familiale, une petite étagère où trônent les ouvrages des grands médecins grecs et arabes, Avicenne, Suyûti, Galien, Hippocrate…

Nous écoutons les plaintes du patient: des douleurs lombaires, de type sciatique. Mohammed Yeslem consulte avec sa sœur, «plus douée que lui» aime-t-il à préciser, et ses deux neveux qui ont entamé les sept années d’étude de la médecine traditionnelle auprès de leur oncle, dont la célébrité dépasse les frontières nationales.

«Quel est le tempérament de notre frère ci-présent?», demande Mohammed Yeslem en désignant le patient maintenant silencieux.

Silence des deux neveux, sourires gênés.

- Il est de tempérament chaud sec. Son excès de bile jaune explique son mal, nous allons le traiter avec des médicaments de type froid humide pour rétablir l’équilibre – et aussi faire quelques incisions de la peau sur le trajet du nerf.

Les neveux acquiescent, le plus jeune invite le patient à passer dans la pièce voisine, où il va lui préparer ses médicaments.

Légende: Les Ould Maqari, frère et sœur, dans leur chambre de consultation, dans la banlieue de Nouakchott, Mauritanie (photo: B. Graz, 2002)

Les médecins occidentaux, après avoir observé les consultations pendant une durée d’un ou deux jours, et se posent les questions suivantes: Quels types de problèmes de santé sont présentés à la clinique des Ould Maqari? Les malades qui requièrent des soins modernes sont-ils correctement référés vers le dispensaire voisin? Quelle est l’efficacité des traitements donnés?

La comparaison des diagnostics «modernes» et «gréco-arabe» (Figure 1) donne un aperçu des difficultés rencontrées dans la traduction du Recueil des Vertus. Si le terme de «nerfs secs» évoque par exemple assez vite les séquelles motrices d’un accident vasculaire cérébral, ou celui de «créatures» dans l’estomac une parasitose, le rapport entre «froid-sec» et constipation chronique – ou hépatite – reste plus difficile à saisir. Mohammed Yeslem nous répétera souvent, non sans humour, que notre difficulté vient de ce que nous n’avons pas encore développé le «radar à tempérament humoral», une sensibilité spéciale qui permet de reconnaître le tempérament de son patient.

Sexe

Age

Occupation

Distance accomplie pour venir

Plainte principale

Traitements antérieurs

pour la même plainte

Diagnostic probable

       

quoi?

depuis?

quand?

où?

quoi?

Ould Maqari

Moderne

m

63

ss-off. Armée

30 min

brûlures vésicales

38 ans

1963

hôp.militaire

antibilharz.

Créatures tube digest.

séquelles bilharziose vésic.

m

58

officier Armée

30 min

mal tête

1 an

année dernière

médecin

 

Sècheresse cerveau

 

m

60

Colporteur

30 min

devenu comme fou

9 mois

tous les 4 jours

hôpital

calmants

Froid-sec >sg pauvre

 

m

32

agriculteur

200 km

doul abd fébrile + ictère

9 mois

il y a 9 mois

hôpital

 

Froid-sec

hépatite

m

50

 

700 km

paralysie côté G

18 mois

année dernière

marabout

pdt 1 an

Nerfs secs

séquelle motrice d'AVC

m

7 m.

sans

20 min

retard développemt

7 mois

 

médecin

DEPAKINE

Omoplates collées

malformation cong.

f

37

mère famille

550 km

dl gastr. + vertiges

7 ans

année dernière

médecin

VICTAN

Froid-sec >cstip.

anxiété

m

32

commerçant

90 min

mal tête + manque appétit

   

trad. Awfa

plantes

Paresse intest.

colopathie fctionnelle

f

45

mère famille

560 km

cachexie fébrile

1 an

15.avr

médecin

antipalu

Chaud-sec/Froid-sec

affection maligne?

m

16

écolier

600 km

"épilepsie"

1 an

o

O

o

Chaud-sec >pb digest.

malaise vago-vagal

m

35

marin

 

palpitations + insomnie

5 ans

 

marabout

"diable"

Froid-sec>obstr.intest.

dystonie neuro-végétative

f

60

mère famille

 

dl ceinture + inappétence

5 ans

 

médecin

VOLTARENE

Créatures estomac

constip. chron. + arthrose

f

70

mère famille

30 min

dl abd + vômissemts

20 ans

o

o

o

Froid-sec

reflux gastro-oesoph.

m

48

colporteur

600 km

dl abd + vômissemts

12 jours

o

O

o

Chaud-sec >déshydrat.

deshydratation

f

25

mère famille

150 km

dl abd + dysméhorrhée

3 ans

o

O

o

Froid sec côté D

 

m

33

commerçant

700 km

dl abd +++ ictère

6 mois

     

Foie sec cô papier

cirrhose post-hépatitique

m

40

officier armée

20 min

nervosité + insomnie

1 mois

     

Chaud-sec

 

m

52

commerçant

30 min

dl thoraciques chron.

32 ans

1969

médecin

Anti-Tuberculeux

Froid-sec/Chaud-sec

séquelles TB + gastrite

f

40

mère famille

20 min

pesanteur abd. Mobile

3 ans

 

tradiprat+méd.

plusieurs (?)

Awragh/Froid-Sec

parasitose intest.?

m

12

écolier

at home

crises émotives

7 ans

     

Faiblesse/mal-alimentation

insuff. staturo-pondérale

f

60

mère famille

30 min

dl abd-thoraciques

13 ans

année dernière

ould Maqari

diète+r

Froid-sec

constipation chron.

Figure 1: Extrait du registre des consultations chez les Ould Maqari (Toujounine, Mauritanie, période du 15 au 18 avril 2001 – remerciements à Anne Bourgey dont nous reproduisons ici les notes telles quelles).

Pour juger de l’efficacité clinique des soins, la première difficulté consiste à trouver une langue commune, qui ne soit pas celle prévalant dans l'un des deux systèmes médicaux, mais plutôt une sorte de lingua franca entre praticiens de deux mondes culturels très différents. La langue qui paraît la plus adéquate est celle du patient. On traduit sans trop d'embûches: «j’ai mal ici», «j’ai de la peine à marcher», «j’ai vomi», «mon sexe ne se dresse plus» … et, à la consultation de contrôle: «bien, mieux, pareil, pire». Cette «langue du patient» permet de poser les bases d’une analyse comparative des résultats cliniques de la médecine moderne et de la médecine gréco-arabe.

Une fois la langue commune admise, il convient d’inventer une méthode ad hoc, baptisée «pronostic résultat»[18]. On note le problème de santé décrit par le patient, le pronostic tel qu’il est posé par les différentes personnes en présence, l’évolution du malade comparée au pronostic; par une analyse mathématique de ces informations (probabilité que des phénomènes soient associés de façon non-aléatoire), on détermine des indices de qualité des soins, basés sur le fait que le patient est référé vers le système moderne quand c’est jugé nécessaire (jugement externe par le praticien de médecine moderne) et sur des comparaisons entre pronostics et résultats (figure 2).

Figure 2: Comparaison, au sein d’un groupe de patients chez les praticiens de médecine gréco-arabe, entre le pronostic «moderne» (ce qu’on pourrait attendre si le malade était traité avec la médecine moderne) et l’évolution observée lors du suivi. D’autres comparaisons portent sur les pronostics et résultats tels qu’ils sont posés par le praticien de médecine gréco-arabe (adéquation entre ses prédictions et l’évolution observée).

Dans notre enquête, les médecins «modernes» sont de simples observateurs de la clinique traditionnelle; ils peuvent toutefois, lorsqu’ils le jugent nécessaire, faire des propositions (par exemple, proposer d’envoyer le patient consulter au dispensaire moderne voisin).

Le but premier de cette évaluation avait été dicté par le Ministère mauritanien de la santé: il s’agissait de répondre à un souci des professionnels des soins de santé «modernes», qui voulaient savoir s’il était possible de collaborer avec les praticiens de médecine gréco-arabe. Cette enquête exploratoire montre que le dialogue ainsi que des échanges constructifs sont possibles.

Les résultats de l’enquête médicale peuvent être résumés ainsi: les patients vus à la clinique des Ould Maqari présentent surtout des problèmes de santé chroniques déjà traités sans succès ailleurs, notamment dans le système de soins moderne. Ils évoluent dans la majorité des cas comme on s’y serait attendu avec la médecine moderne. Le conseil de consulter aussi un médecin moderne est donné si nécessaire. La médecine gréco-arabe peut apporter un soin de qualité acceptable à un nombre important de patients, ce qui allège le travail des services de la médecine moderne. Signe de l'évolution des relations entre praticiens des deux médecines, le «staff du jeudi» est initié durant notre séjour par les médecins du dispensaire moderne de Toujounine et la famille Ould Maqari. Lors de ces réunions hebdomadaires, chacun présente ses patients difficiles pour demander au praticien de l'autre médecine s'il a quelque chose à proposer.

Nous assistons ainsi à l’émergence d’une forme de médecine intégrative dans le Sahara, une rencontre de la médecine moderne et de la médecine traditionnelle gréco-arabe. On l’aura compris, l’étude du Recueil des vertus de la médecine ancienne et de la tradition vivante présente, outre son intérêt historique, un intérêt proprement clinique avec toutes ses résonances contemporaines.

Ce projet a pu être mené à bien grâce au soutien de la Société académique vaudoise – Fondation Fern Moffat, ainsi que de la Fondation du 450ème anniversaire de l'Université de Lausanne.

Nos plus vifs remerciements s’adressent également à la famille Ould Maqari, pour nous avoir généreusement soutenus dans ce projet, à l’équipe des traducteurs mauritaniens et tous ceux qui ont aidé dans le travail de terrain, soit Hilary Waardenburg Kirkpatrick (Lausanne), Dionys Décrevel (Lyon), Sylvie Ayari (Fribourg) Emmanuel Martinoli (Delémont), Marie-Noëlle Petitjean (Paris), pour leurs utiles remarques et leur aide.


[1] Mohammed Beïba Bin Sidi Ahmed Al-Maqari Al-Alawi, Jum’a al-munâf’i fi al-tibb al-qadîma (Recueil Des Vertus de la Médecine Ancienne). Edité et annoté par son fils Mohammed Al-Amîn Bin Mohammed Beïba, Beïrout, Dar-Al-Hâwi, 1997.

[2] Aoufa Ould Abou Bekrin, El ‘Omda. Poème sur la médecine maure, Présentation par Paul Dubié, «Bulletin de l’Institut français d’Afrique noire», 5, 1943, pp. 38-66

[3] T. Monod, Maxence au désert – Souvenirs de Mauritanie, Arles 1995.

[4] B. Graz/ V. Barras/ A.-M. Moulin/ C. Fortier, Le Recueil des Vertus de la médecine ancienne. Médecine gréco-arabe en Mauritanie, Lausanne 2015.

[5] M. Kagawa-Singer/ Shaheen Kassim-Lakha, A Strategy to Reduce Cross-cultural Miscommunication and Increase the Likelihood of Improving Health Outcomes, «Academic Medicine», 78, 6, 2003, pp. 577-587; A. Kleinman/ L. Eisenberg/ B.J. Good, Culture, Illness, and Care: Clinical Lessons From Anthropologic and Cross-Cultural Research, «Annals of Internal Medicine», 88, 2, 1978, pp. 251-258.

[6] Voir par exemple L. Leclerc, Histoire de la médecine arabe, Paris 1875-1876; M. Ullmann, La médecine islamique, Paris 1995; E. Savage Smith/P. Portmann, Medieval Islamic Medicine, Edimbourg 2007.

[7] A.-M. Moulin, Histoire de la médecine arabe: dialogues du passé avec le présent (8ème-20ème siècle), Paris 1996.

[8] F. Sezgin, Galen in the Arabic tradition, in collab. with M. Amawi, C. Ehrig-Eggert, E. Neubauer, Francfort s./Main 1996.

[9] Avicenne, Poème de la Médecine. Edition trilingue arabe, français et latin. Traduction française par Henri Jahier et Abdelkader Noureddine, Paris 1956.

[10] A.-M. Moulin, Anne-Marie, Histoire de la médecine arabe, cit.

[11] G. Attewell, Refiguring Unani Tibb. Plural Healing in Late Colonial India, New Dehli 2007.

[12] C. Leslie, Asian medical systems: a comparative study, New Delhi 1998.

[13] M. Aslam / H. Bano/ S.B. Vohora, Sartan (cancer) and its treatment in Unani Medicine, «American Journal of Chinese Medicine», 9, 2, 1981, pp. 95-110; M. Zafarullah / H. Bano/ S.B. Vohora, Juzam (leprosy) and its treatment in Unani medicine, «American Journal of Chinese Medicine», 8, 4, 1980, pp. 370-384.

[14] M. Azeez Pasha, Brief biographies of eminent Unani Hekeems of India. Based on Nuz-Hatul-Khwatir (Pleasure of hearts) written in Arabic by Allama Abdul Hayy of Lucknow, «Bulletin of the Indian Institut for the History of Medicine of Hyderabad», 6, 3, 1976, pp. 183-191.

[15] S.K. Mishra, Ayurveda, Unani and Siddha systems: An overview and their present status, in B.V. Subbarayappa (éd.), Medicine and life sciences in India, New Delhi 2001.

[16] Disponible sur le site Internet de la Hamdard Foundation:

http://www.hamdard.com.pk:9090/hamdard.com.pk/publications.jsp.

[17] J. Byron Good, Comment faire de l’anthropologie médicale, Le Plessis-Robinson 1998, p. 217 sgg.

[18] B. Graz, Prognostic Ability of Practitioners of Traditional Arabic Medicine: Comparison with Western Methods Through a Relative Patient Progress Scale, «Evidence Based Complementary and Alternative Medicine», 7, 4, 2010, pp. 471-476 (http://ecam.oxfordjournals.org/cgi/content/full/nen022).

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