Autore
Indice
1. Introduction
2. Organismes ou machines? La dissolution de l’irréductible singulier
3. Quelques données historiques et contextuelles de l’embryogenèse aux organoïdes
4. Organoïdes et auto-organisation
5. Questions éthiques subsidiaires à soulever
S&F_n. 22_2019
Abstract
Synthetic Biology and Renewal of the Ethics of the Research. From the Genome Editing to Organoids of the Brains
In this paper I will address the philosophical and scientific impact brought up by “synthetic biology” from the beginning of embryogeny to the fabrication of organoids, to analyze how this paradigm shift impacts on our definition of what a good life is, or should be, in rehabilitation a dialog between sciences and philosophy.
1. Introduction
Le concept de la bonne vie a radicalement changé depuis le développement des biotechnologies et exige une réadaptation sémantique et pratique de l’éthique de la recherche dont nous allons tenter de faire la généalogie et la critique.
De plus en plus la recherche en biologie ne se réfère pas à l’image d’Epinal de la simple neutralité et curiosité du chercheur, car le contexte de la recherche et son financement ont radicalement changé. Elle place la science dans le règne des interactions sociales où chacun est responsable de ses actes, pour la société et plus simplement vis-à-vis de ses pairs. La science pure, la recherche de la vérité, appartient au passé, depuis l’importance des implications sociotechniques de la nouvelle biologie. La notion de vie telle qu’elle est perçue par les bioingénieurs s’éloigne de la notion de bonne vie telle que définie et perçue par les citoyens dans chaque culture. Beaucoup d’objets de recherche sont alors dans une situation d’indistinction quant à leur légitimité pour le public éclairé. L’idée que la vie soit soumise à des intentions mélioristes de perfection et de transformation ne fait pas nécessairement consensus.
La pratique innovante ne mérite ce qualificatif que lorsqu’un clinicien chercheur procure quelque chose de neuf à un patient en cours de traitement, plutôt qu’une recherche basée sur des hypothèses théoriques. Celles-ci doivent subir une évaluation scientifique rigoureuse avant d’être proposée au patient, vulnérabilisé par la maladie et sujet aux espoirs les plus irrationnels[1].
Le passage de la molécule au génome puis du laboratoire au corps clinique est ressenti comme une approche d’ingénierie de la vie, qui est contre-intuitive pour certains, voire dystopique pour d’autres. Depuis l’expérimentation sur l’embryon, celui-ci a été commodifié au stade précoce du développement et est devenu un quasi-objet à fabriquer, à tester, à déconstruire en biobricks pour en dériver les cellules totipotentes qui ont changé non seulement la biologie reproductive mais le rapport au corps individuel.
Ceci a été confirmé par des décisions biopolitiques. Le président Obama déclarait en 2009: «Il nous faut utiliser toutes ressources à notre disposition afin de mener le monde vers des découvertes d’un nouveau siècle»[2], ce qui a contribué à changer le narratif, tout en affirmant placer des limites quant au conflit de représentations que pouvait provoquer le clonage, ou à la création de chimères par rapport au récit antérieur d’une nature à comprendre et à préserver dont nous serions responsables.
Tout se passe donc, dès les années 2000, comme s’il y avait un divorce ou un conflit de narrations entre les chercheurs et les bénéficiaires supposés de la recherche. Le rôle fonctionnaliste qu’a pris la biologie par rapport à d’autres disciplines a mis radicalement en question l’alibi d’une science désintéressée. La biologie a subi un tournant significatif en s’associant à l’informatique et à l’ingénierie du génome, depuis qu’elle a acquis les moyens d’utiliser le mécanisme de l’ADN pour copier, avec une intention performative, les plantes et les animaux afin de créer de nouvelles entités ou réparer la nature.
La science est passée du seul laboratoire à l’industrie dans les années 80. Le potentiel énorme de ces biotechnologies a fait entrer le capital dans un domaine qui se voulait neutre et désintéressé grâce au préfixe ‘bio’ qui semblait plus rassurant que les technologies du nucléaire qui avaient hanté les décennies précédentes. Nous sommes entrés avec la nouvelle biologie dans l’âge de la prospection du génome de toute entité vivante. Cela a été une manière, selon Sheila Jasanoff, de «privatiser le progrès scientifique»[3].
La biologie synthétique fait aussi l’objet de résistances, et certains refusent même de la définir car il faudrait dire en quoi elle n’est plus analytique. Nous en proposons ici une définition minimale sur laquelle nous pourrons nous entendre:
La biologie synthétique couvre cette branche de la recherche qui s’applique aux principes rationnels du design permettant de nouveaux systèmes biologiques, organismes ou composants ou qui contribuent à leur création travers le développement de nouveaux matériaux ou de nouvelles techniques d’ingénierie.
Cette définition volontairement large décrit la complexité de ce champ de recherche interdisciplinaire. Son but est de construire des modules ou éléments biologiques standardisés pouvant être produits à partir de bactéries ou de systèmes dit biologiques.
Si l’administration Obama s’est empressée de rédiger des régulations pour ce domaine, l’Europe est à la traîne pour des raisons éthiques peu claires, dues à un cadre épistémologique dualiste qui oppose encore nature et culture, naturel analytique et synthétique, de manière rigide. Cette résistance ne lui permet pas d’imaginer des régulations permettant d’anticiper le dual use et les dilemmes que ne manqueront pas de soulever l’ingénierie du génome humain dans le discours de l’éthique de la recherche, avec des conséquences socio-anthropologiques et économiques non négligeables. En attendant, les membres du PACE[4] peuvent continuer à travailler.
2. Organismes ou machines? La dissolution de l’irréductible singulier
Le malaise épistémologique avec les nouvelles entités créées par la biologie, qu’elles soient issues de modification du génome par CRISPR ou de la création d’organoïdes, est leur statut ontologique trouble. Il est important de noter qu’il peut être clarifié par une définition épistémologique entre l’organisme vivant et la machine, qui ont jusqu’à présent un statut moral radicalement différent.
Quel statut donner à ces nouvelles entités mi-biologiques mi-machines?
Cette plasticité du vivant heurte le sens commun, ou l’intuition éthique d’une séparation radicale entre le vivant et le non vivant, et donne un vertige à ceux qui craignent que l’humain puisse dépasser sa finitude en étant l’auteur de sa propre évolution, au moment même où son individualité irréductible perd sa signification, en étant réduite à des biobricks interchangeables, des usines biologiques créées en laboratoire.
Le MIT a construit un registre de milliers de modules que l’on nomme biobricks, ou briques du vivant, et qui sont accessibles en open source. C’est ce qui a permis de synthétiser des génomes entiers rapidement voire d’éditer des génomes grâce aux techniques CRISPR/Cas9. Ceci a fait entrer la biologie synthétique dans une autre ère des possibles, et a permis d’imaginer devenir les auteurs de l’évolution, voire de réécrire le «livre de la vie». Toutes ces métaphores ont eu un effet heuristique certain, ainsi qu’un ton utopique et prometteur qui requiert de penser, non seulement une éthique de la connaissance, mais une éthique de la promesse comme corrélat.
L’association de la génomique et de l’informatique est en train de bouleverser notre représentation de nous-mêmes et a des effets anthropologiques et biopolitiques dont il nous faut développer la phénoménologie concrète. La biologie synthétique reste une expression vague et sujette à controverses car elle questionne la vision du naturalisme scientifique, en consistant à synthétiser l’ADN d’organismes vivants, l’humain inclus.
Cependant, la biologie synthétique dépasse de loin les techniques CRISPR, comme le dit Church[5] : «c’est la différence entre éditer un livre et l’écrire».
Evelyn Fox Keller avait déjà montré combien la place des métaphores en biologie accentue le déterminisme du vivant. Que signifie le fait d’attribuer ou de dénier un pouvoir de causation aux gènes pour l’idée que nous nous faisons de notre liberté et de notre intentionnalité?
La définition du terme organoïde est en soi une question éthique. Il se réfère à un assemblage tridimensionnel contenant des cellules de plusieurs types construites avec une histologie réaliste et à une taille micro.
Ces organoïdes peuvent être fabriqués à partir de cellules humaines ou animales, voire un mélange des deux, ce qui n’est pas sans soulever certaines questions quant à la représentation anthropologique des corps. Leur statut poreux mi-machine mi-vivant traverse la barrière des espèces. Ce point nécessite une contextualisation historique et épistémologique de l’évolution sémantique et technique du terme même d’organoïde, notamment lorsqu’il y a transfert d’organoïdes humains à partir de cellules souches à des animaux.
En effet, l’intérêt pour la fabrication d’organoïdes a augmenté de manière exponentielle depuis les années 2000. Ils concernent de plus en plus d’organes humains, et visent de plus en plus d’applications de recherche et de thérapeutiques éventuelles depuis la fabrication possible d’organoïdes dont les fonctions imitent les organes adultes.
3. Quelques données historiques et contextuelles de l’embryogenèse aux organoïdes
La technique de construction d’organoïdes est ancienne. Jamie Davies[6] la rend contemporaine du travail de Wilson[7] dès 1910 qui a montré qu’une simple éponge, dissociée en ses constituants cellulaires, peut être réagrégée au hasard pour reconstruire une éponge viable. Cette expérience était cruciale comme paradigme. Elle montrait que des cellules isolées d’un organisme adulte contenait l’information suffisante pour spécifier une structure multicellulaire, sans l’aide d’instructions externes ou de structure anatomique liées à leur histoire embryologique. Ce point est essentiel pour la production d’organoïdes pour la recherche depuis les années 50, qui a utilisé cette hypothèse et cette méthode de base de désagrégation et réagrégation. Cela a permis d’observer des phénomènes d’auto-organisation dans les cellules d’animaux plus complexes.
Moscana[8] a par exemple utilisé le battement de cœur synchronisé à travers les espaces afin de poser la question de savoir si les associations de cellules étaient contrôlées par le fait d’appartenir au même type histologique ou à leur seule origine animale spécifique. Il a mélangé des cellules de rein d’un poulet et de cartilage de souris pour montrer qu’elles coopéraient pour fabriquer un organoïde, sans considération pour l’espèce d’origine. Cette expérience a révolutionné la perspective selon laquelle l’embryogénèse était mue par un signalement inductif.
La question demeurait de savoir si ces agrégats autoorganisés permettant la désagrégation et la réagrégation se substituaient ou pas à l’induction, ou à ce que l’on appelait les «règles du développement», un point important pour la fabrication d’organoïdes à but de recherche.
Steinberg[9] a répondu en 1963 par l’hypothèse de differential adhesion hypothesis, qui a permis de prédire certains comportements de cellules selon un modèle de thermodynamique. Davies et Cachat ont développé ensuite (2016) un modèle de séparation de phase[10].
Pendant des décennies, la recherche sur organoïdes s’intéressait à des questions de biologie du développement. Les organoïdes étaient de simples outils qui informaient les embryologistes sur des mécanismes de développement.
4. Organoïdes et auto-organisation
Human brain organoids are stem derived 3d biological structures which are self-organizing in morphological units resembling a developing human brain.
(Lancaster et al, «Nature» 2013).
La capacité d’auto-organisation des organoïdes était une indication que beaucoup d’informations épigénétiques étaient contenues dans les cellules elles-mêmes et ne reposaient pas sur des instructions externes supposant une logique inductive du développement.
Fabriquer des organoïdes à partir de cellules IPS (Induced Pluripotent Stem cells) est donc souvent présenté comme une manière d’échapper ou de contourner les questions éthiques soulevées par la recherche sur cellules embryonnaires, qui est très régulée. En effet, comme le montre Lancaster[11], ils imitent partiellement la fonction d’organes adultes.
A quelles conditions légitimer leur utilisation dans une perspective gradualiste? Peut-on mettre en parallèle le développement de cellules embryonnaires et d’organoïdes, même si elles partagent la même origine?
Un organe complet pourrait-il se fabriquer à partir d’organoïdes, comme le promettent certains chercheurs, sans connaissances suffisantes mais par inférence? Ne devons-nous pas dès lors séparer le statut moral des embryons de la valeur des organoïdes, et éviter même de parler de statut des organoïdes, qui ajouterait à la confusion avec une position ontologique de vivant pour des constructions issues de la bioingénierie?
Cela renvoie au statut sensible de ces artefacts, qui ne sont pas capables, à ce stade, d’initier un processus de développement complet d’un individu humain, et même s’il est similaire, leur développement peut être plus facilement modifié et interrompu.
D’un point de vue conséquentialiste, il n’y a pas de statut moral pour ces entités au statut indéfini, car leur potentialité de développement dans des boîtes de Pétri est contrôlable. Lancaster a été pionnière dans le domaine, en montrant qu’elle pouvait répéter des aspects spécifiques du développement cortical humain, dès 2013. Depuis, la recherche a confirmé cette capacité d’auto-organisation et on a montré que des organoïdes de cerveaux interagissent avec leur environnement. Ils remettent en question la synchronie du développement de cellules embryonnaires et rendent non pertinentes les régulations la protégeant, car ces organoïdes peuvent être développés en laboratoire à partir d’embryons de manière à ne pas passer par certaines étapes de l’embryogenèse, ce qui avait du sens pour la recherche sur embryon et son devenir, par rapport aux discours féministes entre autres.
Il nous faut donc, face à cette possibilité, repenser les déterminants de la «valeur morale» à accorder à ces organoïdes de cerveaux, en évitant de parler de statut moral si le but n’est pas de développer des cerveaux de taille adulte, et ne rencontre donc pas pour les chercheurs la question d’une possible «conscience» ou capacité de douleur de ces organoïdes. Mais là encore aucune certitude ne peut être affirmée, et laisse pour certains publics un sentiment de malaise selon la définition initiale de la vie bonne dont ils partent pour évaluer ces avancées non sollicitées.
Les organoïdes sont certes d’origine humaine mais ont un développement biologique limité dans le temps et sans potentiel de procréation. En effet, ce ne sont pas des structures biologiques conventionnelles mais des imitations fabriquées à partir de celles-ci. Aach[12] a présenté un algorithme en étapes pour évaluer le potentiel d’être conscient (sentient beings) de ces entités ayant des «embryo or brain like features». Nous sommes dans le comme si de la ressemblance. Ces métaphores, bien qu’ayant une fonction pédagogique, ont également un effet d’annonce qui amplifie les fausses promesses thérapeutiques, dans un environnement scientifique qui fonctionne sur le principe des Start Up.
Lancaster a developpé un «Perturbational complexity index»[13]. Kelava et Lancaster[14] affirment qu’ils peuvent produire des «organoïdes qui répliquent avec exactitude la période précoce du développement humain et du développement du cerveau». Si les organoïdes de cerveau sont encore incapables de reproduire un cerveau adulte in vivo, des progrès sont obtenus visant à prolonger, en vue de recherche, leur viabilité, alors que leur développement est déjà comparable à un fœtus de quelques mois.
Ces avancées biotechniques, tout comme les technologies de reprogrammation cellulaire et les méthodes d’édition du génome nous forcent à opérer des distinctions claires afin de réguler cette recherche, sans excès et sans fausses promesses thérapeutiques.
Les organoïdes de cerveaux ont déjà démontré leur potentiel clinique dans une étude sur la microcéphalie liée au virus Zyka. Cependant, et là commence la promesse excessive, Lancaster fait l’inférence que ces organes de substitution seront bientôt utilisés pour traiter l’autisme, les maladies de Parkinson ou la sclérose en plaques, tant elle est persuadée que des organoïdes de plus grande taille permettront à ceux-ci d’avoir des fonctionnalités similaires au cerveau adulte, et serait de plus un matériau plus acceptable éthiquement que la recherche sur fœtus humains de 9 semaines, sur animaux, voire sur volontaires sains. «From an ethical point of view no living being is destroyed damaged or put at risk in tests involving artificial organoids». C’est précisément sur le terme artificial qu’il faudra s’entendre.
Les problématiques des recherches sur cellules souches embryonnaires demeurent, ainsi que la question du type de consentement que pourrait accorder le donneur de matériel biologique sensible, face à l’incertitude du développement de ces recherches, quand ce matériel pourrait par exemple être transféré à des animaux et fabriquer des êtres chimériques.
Définition plus précise des organoïdes de cerveaux:
Organoids are biological entities produced in vitro from stem cells whose differentiation can be oriented towards the typical organization (architecture and physiology) of an adult organ.
Quelques questions essentielles restent posées néanmoins, et de manière paradoxale elles sont liées aux avancées de la biologie dite synthétique, qui fait suite à l’ingénierie génétique des années 70. Elle produit des tissus quasi-humains de plus en plus réalistes, qui effacent les frontières entre vivant et chose. La biologie synthétique se définit comme la science de la synthétisation du génome, qui a permis de poser en 2010 que la cellule était sous contrôle du génome et était donc une cellule synthétique[15]. Le président Obama a alors demandé un rapport sur la biologie synthétique[16], qui ne dit pas véritablement ce qu’est cette biologie synthétique «qui allait changer le monde» et qui se résume à associer l’ingénierie à la biologie afin de créer ou modifier des systèmes biologiques existants, ce que permettent notamment déjà les techniques CRISPR. Ainsi, si la biologie s’était contentée de manière analytique de comprendre le vivant, la «biologie synthétique» vise ce qui pourrait être, rendant tout possible en principe. Définir la biologie synthétique ou la génomique synthétique en termes de biobricks consiste à développer des catalogues de séquences génétiques interchangeables qui, insérées dans des cellules, pourraient orienter le fonctionnement de celles-ci. Ce courant ne consiste pas seulement en des avancées biotechnologiques, mais s’appuie sur des lois de propriété intellectuelle qui donnent une réalité juridique à ce discours dont les métaphores de «création de la vie» sont utilisées de manière abusive et idéologique, évoquant la création de «nouvelles formes de vie». Elles invitent à une prudence épistémologique car elles traduisent une forme réductionniste et romantique à la fois du concept de vie, ne mentionnant pas qu’il s’agit encore dans les recherches de biologie synthétique de stratégie «top down». Néanmoins, depuis que la nouvelle biologie utilise les techniques de recombinaison de l’ADN, cette science, descriptive et analytique au départ, est devenue synthétique, d’où son nom de biologie synthétique. Ce passage de l’analyse à la synthèse, si elle a permis des progrès biotechniques, souligne une transformation vers un savoir instrumental qui fait de la biologie un outil de manipulation du vivant. La biologie synthétique se caractérise par la transformation de l’analyse observationnelle à la capacité de fabriquer des artefacts à partir de l’ADN. Ce changement de paradigme épistémologique permet de passer avec l’ingénierie génétique de la manipulation à ce que certains chercheurs autour des technique CRISPR nomment «la création du vivant». Cette métaphore nous semble néanmoins abusive.
5. Questions éthiques subsidiaires à soulever
Une question majeure reste la source des cellules IPS, particulièrement en ce qui concerne les organoïdes, pour explorer les mécanismes de certaines maladies, qui permettent de développer des thérapies innovantes.
L’optimisation de cette fabrication pose-t-elle un problème éthique nouveau?
Le besoin de standardisation mène en effet les chercheurs dans la direction de l’optimisation de la production d’organoïdes à partir d’un très petit nombre de lignées cellulaires, parfois même une seule, dont les résultats sont excellents. Mais les humains sont génétiquement divers et la question de l’étendue de cette diversité est en soi une question éthique et anthropologique pratique. Ethique car cela nous ramène à la question «pour qui et à quelles fins sont développées ces thérapies»?
A quel stade de la recherche vers la clinique cette question doit-elle se poser?
La diversité doit-elle être un but?
Et combien de diversité peut être considérée comme suffisante?
La question qui perturbe les esprits est peut-être celle de la transplantation d’organoïdes humains dans des animaux pour des études physiologiques in vivo. Cette question n’est certes pas la même pour des cellules pancréatiques que pour des cellules du cerveau mais la différence dépend de conventions et de régulations évolutives que nous nous donnerons.
L’autre problème est celui de la construction d’organoïdes qui représentent un embryon entier plutôt que des organes ou tissus spécifiques[17].
L’application d’essais basés sur des organoïdes en pharmacologie et toxicologie pourrait nécessiter le développement de nouveaux cadres pour que ces essais puissent être considérés comme des substituts valides de la recherche sur animaux. La complexité de certains organes humains rend l’idée de remplacement inadéquate, mais suggère plutôt une alternative, dans certaines situations et pour certains organes, qui limiterait la recherche sur animaux. Ceci afin que l’éthique de la recherche, qui dépasse l’éthique procédurale des comités d’éthique existants, exige ce que j’ai appelé et défini ailleurs comme une éthique de la promesse, qui suppose un engagement et un dialogue dans le temps.
La recherche scientifique en biologie synthétique, pour des raisons structurelles de financement, utilise de plus en plus un langage narratif et utopique[18] (comme le montre aussi avec évidence le livre de Jennifer Doudna[19]), qui est contraire à la démarche épistémologique et hypothétique des sciences désintéressées. Ne rien promettre qui ne puisse être vérifié, c’est-à-dire l’exigence d’une prudence dans la communication des métaphores réductionnistes qui, si elles sont utiles comme hypothèses méthodologiques, doivent être évaluées en termes ontologiques et culturels dans une approche plus large que le cadre scientifique, en exigeant une possible coexistence des intentions, permettant une science responsable respectant l’éthique de la promesse, comme condition de l’éthique de la valeur intrinsèque de la connaissance.
Il faut néanmoins prendre acte du changement de paradigme qu’a opéré la biologie synthétique depuis que les biologistes ont développé un moyen de construire des structures qui miment celles de l’embryon pour produire des cellules reproductives rudimentaires[20].
Le discours anticipatif a tendance à fonctionner auprès du public comme une fausse promesse thérapeutique en accentuant la différence entre les possibles et les traitements existants et disponibles. La question de la légitimité de création d’organoïdes de cerveau est au cœur de ces débats.
Une éthique de la promesse se doit d’être une forme de responsabilité scientifique vis-à-vis des associations de patients ou du public à s’engager, et à ne pas encourager la confusion entre recherche et clinique, en ne communiquant que les résultats vérifiés de la recherche qui, au-delà de l’avancée des connaissances à ne pas limiter, prétend à une clinique innovante et à des thérapies, sans considérer comme pertinentes les limites de finitude attribuées au vivant. Nous devrons donc également nous poser la question des conditions de constructions, des limites, et du potentiel des organoïdes à tenir les promesses thérapeutiques annoncées.
Les organoïdes nous intéressent au niveau éthique en ce qu’ils ont le potentiel de rapidement changer la manière dont se poursuit la recherche médicale, mais ces progrès ne seront possibles que lorsque l’on aura adressé clairement les défis éthiques qu’ils soulèvent, par une communication claire envers les patients et par la gouvernance spécifique du consentement qu’il requiert. Sera aussi nécessaire une information tout aussi claire sur les limites de ces quasi-organes à imiter les fonctions de l’organe de référence, surtout lorsqu’il s’agit d’organes complexes comme le cerveau, dont nous ne connaissons encore que peu de choses, malgré les progrès des neurosciences.
Certains évoquent le statut moral des organoïdes de cerveaux[21].
Nous avons donc la responsabilité de rétablir un dialogue entre science analytique et synthétique à partir d’une phénoménologie concrète, en repensant le concept de nature, pour développer ce que j’ai appelé une éthique de la promesse, qui soit compatible avec une science de la connaissance, au-delà de l’utilitarisme du calcul risque-bénéfice[22].
[1] J. Earl, Innovative practice, Clinical research, and the ethical advancement of medicine, «The American Journal of Bioethics», 19, 6, 2019, pp. 7-18.
[2] Obama’s Remarks on Stem Cell Research, «Today, using every resource at our disposal, with renewed determination to lead the world in the discoveries of this new century, we rededicate ourselves to this work», NY Times transcript March 9, 2009, https://www.nytimes.com/2009/03/09/us/politics/09text-obama.html.
[3] S. Jasanoff, Can Science Make Sense of Life? Polity Press, Reprint Edition, 2018.
[4] PACE: Programmable Artificial Cell Evolution, voir https://en.wikipedia.org/wiki/Minimal_cell.
[5] https://en.wikipedia.org/wiki/George_M._Church.
[6] J.Davies, voir https://www.ebooks.com/en-us/author/jamie-davies/75633/.
[7] H.V.Wilson’s sponge experiment, voir http://labs.bio.unc.edu/harris/Research/sponges.htm.
[8] A. Moscona – H. Moscona, The dissociation and aggregation of cells from organ rudiments of the early chick embryo, in «Journal of Anatomy», 86, 3, 1952, pp. 287-301.
[9] M.S. Steinberg, The differential adhesion hypothesis, voir https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/wdev.104
[10] Davies and Cachat, voir https://www.biorxiv.org/content/10.1101/136366v1.full
[11] M. Lancaster, voir par ex. https://www.nature.com/articles/d41586-018-05380-x.
[12] J. Aach et al, Addressing the ethical issues raised by synthetic human entities with embryo-like features, 2017, https://elifesciences.org/articles/20674.
[13] M. Lancaster et al, Disease modelling in human organoids, in «Diseas Model & Mechanisms», 12, 7, 2019. Voir aussi, M. Lancaster, How far are we willing to go, in «Journal of Medical Ethics», 2018.
[14] I.Kelava & M.Lancaster, Stem Cell Models of Human Brain Development, in «Cell Stem Cell», 2, 18, 6, 2016, pp.736-748.
[15] R.D. Sleator, The story of Mycoplasma mycoides JCVI-syn1.0. The forty million dollar microbe, in «Bioeng Bugs», 1, 4, 2010, pp. 229–230.
[16] Presidential bioethics commission, New directions: the ethics of synthetic biology and emerging technologies, Bioethics. gov, May 2010.
[17] M. F. Pera et al, What if stem cells turn into embryos in a dish?, in «Nature methods», 12, 2015, pp. 917-919.
[18] S. Jasanoff, The ethics of invention: technology and the human future, Norton and Company Ethics Series, New York 2018.
[19] J. Doudna, S. Sternberg, A crack in creation gene editing and the unthinkable power to control evolution, Houghton Mifflin Harcourt, 2017.
[20] D. Cyranoski, Embryo-like structures created from human stem cells, in «Nature», 16 sept 2019.
[21] S. Hostiuc et al, The moral status of cerebral organoids, in «Journal of regenerative therapy», 2019.
[22] G. Kaebnick and Th. Murray, Synthetic biology and morality; artificial life and the bounds of nature, MIT Press, Cambridge 2013.