S&F_scienzaefilosofia.it

La biophilosophie de Georges Canguilhem

Autore


Charles T. Wolfe

University of Ghent

Research Fellow at the Department of Philosophy and Moral Sciences, University of Ghent, and an associate member of the Unit for History and Philosophy of Science, University of Sydney

Indice


  1. Introduction
  2. Quel vitalisme?
  3. L’organisme entre épistémologie et ontologie
  4. Biochauvinisme et œufs d’oursin
  5. Phénoménologie et mysticisme de la chair
  6. Conclusion

↓ download pdf

S&F_n. 17_2017

Abstract


Georges Canguilhem's Biophilosophy


The eminent French biologist and historian of biology, François Jacob, once notoriously declared «On n’interroge plus la vie dans les laboratoires»: laboratory research no longer inquires into the notion of “Life”. Certain influential French philosophers of science of the mid-century such as Georges Canguilhem would disagree, or at least seek to resist some of Jacob’s diagnosis. Not by imposing a different kind of research program in laboratories, but by an unusual combination of historical and philosophical inquiry into the foundations of the life sciences (particularly medicine, physiology and the cluster of activities that were termed “biology” in the early 1800s). Canguilhem speaks of «defending vitalist biology» and declares that Life cannot be grasped by logic (or at least, «la vie déconcerte la logique»). Is this history and philosophy of biology? Is it vitalism? It definitely is a different project from current philosophy of biology. One short-lived term for it was “biophilosophy”. In this paper I explore the content of this term as it relates to the above questions.


  1. Introduction

Georges Canguilhem (1904-1995) est connu comme épistémologue des sciences de la vie. Il est moins réputé en dehors des cercles d’amateurs spécialisés comme vitaliste «encarté» (en employant cette formule, nous songeons à celle, peut-être un brin provocatrice, employée par Canguilhem en discussion avec Michel Fichant: «Je suis un nietzschéen sans carte»)[1]. Nous examinerons ici sa contribution à une «biophilosophie» qui ne se contenterait pas de se situer trop strictement dans l’une des deux orthodoxies classiques et tenaces que sont le réductionnisme et l’holisme. Il est vrai que ces deux extrêmes coexistent souvent, même si ce n’est pas de façon toujours très heureuse, et les différentes sous-disciplines les abordent de façons différentes. Comme l’a relevé Jean Gayon[2], la philosophie de la biologie comme discipline professionnelle (qui porte avant tout son attention sur un type spécifique d’analyse conceptuelle, dans le but de clarifier les implications et conséquences des propositions de la biologie dans la science normale), est restée, au cours de son existence comme «genre» anglophone, à une distance sûre relativement à ce qui est perçu par ses praticiens comme un «vitalisme». Ceci est moins vrai de la philosophie de la médecine, dans la mesure où elle se penche plus particulièrement sur des analyses portant sur la «personne entière», sur la subjectivité, sur les dimensions qualitatives de la souffrance et du bien-être etc.[3]

Canguilhem est resté une figure éminente dans ces disciplines, particulièrement dans la formation intellectuelle éphémère connue sous le nom de «biophilosophie» (aux côtés de Raymond Ruyer et de Gilbert Simondon – les premiers travaux de Ruyer sont contemporains de ceux de Canguilhem, datant du début des années 1940, tandis que Simondon et Canguilhem ont connu l’apogée de leur gloire dans les années 1960)[4]. Une position biophilosophique visait ainsi à comprendre la Vie, les êtres vivants, le concept d’organisme etc., dans des termes qui ne seraient pas exclusivement dictés par la science mécaniste ou les compagnons de route philosophique d’une telle science. La question de savoir si un tel projet est par essence «vitaliste» ou «biochauviniste» (pour emprunter ce terme récemment forgé par le spécialiste de l’embodied cognition Ezequiel di Paolo), et bien sûr, celle de savoir ce que ces termes veulent dire dans le présent contexte, occuperont une partie de la présente étude.

 

  1. Quel vitalisme?

Canguilhem s’est parfois autoproclamé vitaliste, sans doute par espièglerie, mais sans ironie[5] et il ne faut pas oublier qu’à cette époque, particulièrement au cours des années 1950-60, une telle déclaration relevait au moins de la provocation[6]; il n’y avait après tout pas encore d’études digne de ce nom sur le vitalisme du XVIIIe siècle (comme celui de l’école de Montpellier) ou sur la biologie allemande du début du XIXe siècle (comme l’embryologie de Blumenbach), mais il n’y avait évidemment pas non plus de mouvement théorique contemporain se proclamant vitaliste dans le confort d’une chaire universitaire[7]. Il est intéressant en soi que Canguilhem, «historien du vitalisme», transforme cette histoire (ou cette épistémologie historique) en un argument en faveur du vitalisme lui-même, qui serait non-réfutable. De fait, Canguilhem a plusieurs fois repris le thème du vitalisme et ce dans un sens évidemment plus large si nous prêtons attention à quelques-uns des principaux arguments formulés dans son ouvrage classique, Le normal et le pathologique, où l’on trouve une présupposition implicite pour laquelle la normativité est un pouvoir ou une capacité propre aux êtres vivants. Ceci n’est peut-être pas un «vitalisme» pleinement articulé (quelle que soit l’extension du terme, comme nous l’avons examiné ici et dans d’autres travaux)[8], mais qui relève d’une insistance sur le fait qu’il y a quelque chose d’unique au sein des entités vivantes, quelque chose qui fait d’elles des créatrices du monde qu’elles habitent.

Mais on ne doit pas prendre cela dans le sens de l’idéalisme classique, pour lequel précisément au sein de l’idéalisme, «Il n’y a rien qui puisse avoir un rapport positif au vivant si ce dernier n’est pas en et pour lui-même la possibilité de ce rapport, c’est-à-dire si le rapport n’est pas déterminé par le Concept et donc immanent au sujet»[9]; nous sommes ici plus proches du sens de l’Umwelt théorisé par Uexküll, selon lequel

comme une araignée fait avec ses fils, chaque sujet file ses relations en propriétés déterminées des choses, et les entretisse en une solide toile qui porte son existence[10].

Mais l’on peut aussi déceler, dans cette conception des êtres vivants comme créateurs, des accents ou arrière-pensées nietzschéennes (et Foucault a bien sûr insisté sur ce motif présent dans les travaux de son mentor, en soulignant que «former des concepts, c’est une manière de vivre et non de tuer la vie; c’est une façon de vivre dans une relative mobilité et non pas une tentative pour immobiliser la vie»[11]: l’idée pour laquelle les valeurs, les normes et autres constructions de niveau supérieur sont en fait des produits de nos instincts vitaux. Pour Canguilhem, qui s’intéressait à l’imprévisibilité de la vie comme dans le cas classique des monstres,

L’homme n’est vraiment sain que lorsqu’il est capable de plusieurs normes, lorsqu’il est plus que normal. La mesure de la santé c’est une certaine capacité de surmonter des crises organiques pour instaurer un nouvel ordre physiologique, différent de l’ancien. Sans intention de plaisanterie, la santé c’est le luxe de pouvoir tomber malade et de s’en relever. Inversement, le propre de la maladie c’est d’être une réduction de la marge de tolérance des infidélités du milieu[12].

Plus proche de notre sujet, nous pouvons aussi reconnaître dans cette idée l’influence de Goldstein, qui a élaboré, dans son ouvrage difficile et important sur la structure de l’organisme, Der Aufbau des Organismus (1934), une conception des organismes en tant qu’entités interprétatrices et en effet, en tant que créatrices de sens; des entités pour lesquelles être vivant, agir, veut dire, au-delà d’autres processus métaboliques, être également engagé dans un processus de production de sens[13]. Ou, pour mobiliser une reformulation plus récente de la même idée:

les organismes sont des sujets motivés par des buts définis selon des valeurs rencontrés dans la fabrique même de leur vie[14].

Pour le dire autrement, le type de vitalisme en jeu chez Goldstein et Canguilhem n’est explicitement pas comparable au vitalisme de gens qui contemplent des petites formes de vie grouillantes (du polype de Trembley aux blastomères d’oursin de Driesch, jusqu’aux grenouilles de Réaumur, qui devaient enfiler de petites culottes en taffetas pour recueillir leur sperme) et qui affirment ensuite qu’ils ont été témoins de la différence entre Vie et non-Vie:

un vitaliste, c’est un homme qui est induit à méditer sur les problèmes de la vie davantage par la contemplation d’un œuf que par le maniement d’un treuil ou d’un soufflet de forge[15].

Il s’agit plutôt d’un vitalisme de la signification et de la projection[16].

Il demeure que Canguilhem (à l’inverse de quelqu’un comme Hans Jonas par exemple) est authentiquement concerné par la nature de la vie biologique, et non par quelque voie secrète pour défendre la spécificité humaine envers et contre le reste de l’univers physique. Dans son recueil d’articles sur la question, Le phénomène de la vie, Jonas oppose le monde des organismes conscients au monde «mort» de la Nature mécanique, et insiste sur le fait que «le but de la vie même» est «son individualité autocentrée», qui doit, insiste-t-il, être «un concept ontologique»[17]; dès l’abord, il explique que son intérêt se porte sur les processus biologiques tels que le métabolisme dans la mesure où ils sont en dernier lieu des indicateurs de «liberté»[18]. En effet, le vitalisme a souvent servi de masque ou d’indicateur de l’humanisme, et ce souvent sur des fondations théologiques. À savoir, des affirmations de forme oppositionnelle ou différentielle, dans lesquelles la «Vie», l’«organisme», l’«animal» ou «le corps vivant» sont opposés, souvent en termes ontologiquement fondationnalistes, à la «nature physique», à la «nature mécanique», au «matérialisme mécaniste», au «monde comme machine» etc., ont souvent en dernière instance une motivation anthropocentrique, fondée en une défense de la liberté, comme dans le cas de Jonas, ou pour ces penseurs pour qui le matérialisme et l’analyse scientifique ne sont appropriés qu’à l’univers matériel, mais produisent des résultats désastreux quand on les applique au monde intérieur, subjectif de la nature humaine, de la pensée humaine, et des émotions humaines. En revanche, Canguilhem était naturaliste, pour utiliser un terme en vigueur depuis quelques décennies: il cite et approuve Spinoza quand il affirme que nous ne sommes que des parties de la Nature et rien d’autre: nous, en tant qu’humains, ou agents rationnels, ou possesseurs d’une glande pinéale, ne formons pas un imperium in imperio[19].

  1. L’organisme entre épistémologie et ontologie

Mais notre question ici est la suivante: de quelle façon est-ce que Canguilhem défend, de façon biochauviniste, le statut spécial des corps vivants? L’une des caractéristiques étranges des analyses de Goldstein se retrouve dans la façon unique qu’a Canguilhem de traiter de la question des organismes et de leur singularité: la façon dont il oscille entre une position épistémologique prudente (qui rappelle l’idéal régulateur kantien de la troisième Critique) pour laquelle les organismes sont réels et spéciaux par la façon dont nous les constituons cognitivement, et une position ontologique forte pour laquelle les organismes sont réels en vertu de caractéristiques fondamentales, intrinsèques qui se trouvent être présentes (nous ne rentrerons pas ici dans les détails de l’analyse de Goldstein, qui est plus heideggérienne qu’autre chose, à l’image d’une de ses «Remarques conclusives» selon laquelle «l’organisme est un être endurant dans le temps», et de façon plus curieuse, «dans un temps éternel, car il ne commence pas avec la procréation, et certainement pas avec la naissance, et ne finit pas avec la mort» – même si, pour être honnête, de tels motifs «existentiels» se trouvent aussi chez Canguilhem)[20]. Mais si l’on met cela de côté, Goldstein a certainement esquissé une nouvelle approche qui était, bien sûr, holistique et organismique tout en opérant à un niveau principalement heuristique, non-ontologique. Comme il l’affirme,

La structure de l’organisme consiste surtout en une description détaillée d’une nouvelle méthode, l’approche que nous qualifions d’holiste ou organismique. […] Cette méthode nous mit face à un problème épistémologique délicat. La visée principale de cet ouvrage est de décrire cette procédure méthodologique en détail, au moyen de nombreuses observations[21].

En revanche, cette distinction commode entre la vision épistémologique (projective, constitutive) des entités biologiques et la vision ontologique de mêmes entités (témoignant d’un vitalisme fort, d’une «métaphysique rationnelle» comme aurait pu la qualifier Kant), se trouve quelque peu troublée au moment où Canguilhem introduit une complication vitaliste: qu’une caractéristique objective («ontologique») des êtres vivants puisse se trouver dans le fait: 1) que ces entités sont «interprétantes» à la Goldstein, et plus spécifiquement 2) que ces entités aient besoin de considérer d’autres entités en tant qu’entités organismiques, motivées par des buts, vitales. Il y a également un parfum existentialiste dans les réflexions de Canguilhem (complication supplémentaire de la dimension ontologique évoquée plus haut), quand il décrit cette position interprétante comme relevant en dernière instance d’une sorte d’attitude existentielle fondamentale[22]. On trouve la version proprement biologique ou biomédicale de cet «existentialisme» dans Le normal et le pathologique, avec des déclarations telles que

la vie d’un vivant […] ne reconnaît les catégories de santé et de maladie que sur le plan de l’expérience, qui est d’abord épreuve au sens affectif du terme, et non sur le plan de la science. La science explique l’expérience, mais elle ne l’annule pas pour autant[23].

Il faut relever ici l’appel à une dimension subjective fondatrice, même si la question de savoir si une telle dimension est l’objet d’une région ontologiquement spécifique n’est pas claire. Ceci étant, Canguilhem ne se contente pas de produire des énumérations de «caractéristiques objectives» des entités vivantes, comme l’homéostasie, en affirmant qu’elles sont «définitoires», et il n’opte pas pour autant pour une position subjectiviste, pour laquelle «vivre» c’est comprendre, sur le modèle, ou en interrelation à un sujet connaissant. Mais est-il plus proche d’une perspective hégélienne, dans laquelle l’organisme est déjà une forme de subjectivité? Encore une fois, ceci n’est pas le lieu de le décider.

  1. Biochauvinisme et œufs d’oursin

Si nous tentons de comprendre Canguilhem à la lumière de la biologie théorique récente[24], en mobilisant comme question directrice celle de savoir si les organismes sont uniques dans le monde physique et si oui, pourquoi?, nous nous trouvons dès lors dans une curieuse situation, dans laquelle nous trouvons Canguilhem à la fois plus et moins engagé que d’autres théoriciens dans la défense de la singularité d’entités biomédicales embodied. D’un côté, Canguilhem semble plus prudent, moins crypto-dualiste que des figures éminentes des décennies récentes comme Varela, qui ont tendance à commettre l’erreur de catégorie consistant dans la tentative de chercher à prouver la singularité du biologique en fournissant quelque critère empirique – une «liste de blanchisserie» en quelque sorte, dans laquelle est fréquemment invoqué le milieu intérieur de Bernard, la notion d’homéostasie due à Cannon, et plus récemment les travaux de Ganti, Luisi et al. sur l’auto-organisation, les processus autocatalytiques et la clôture organisationnelle[25]. Ceci devient particulièrement curieux quand certaines de ces figures invoquent l’autorité du Kant de la troisième Critique (comme c’est depuis quelques temps monnaie courante dans cette inflexion de la biologie théorique)[26]. Pour le dire crûment, si l’on considère que la philosophie kantienne fournit «le» cadre non seulement utile mais juste permettant de saisir la spécificité de l’organisme ou du «vivant», il est au minimum curieux d’ajouter à ce positionnement (kantien) une liste de critère empiriques du vivant – ses propriétés uniques – étant donné que le concept kantien d’organisme est très explicitement construit autour de sa notion d’idéal régulateur[27]. L’organisme selon Kant est une construction «réflexive» plutôt qu’un trait «constitutif» de la réalité, et les jugements réfléchissants sont incapables de justifier des affirmations objectives, comme il l’écrit[28].

Kurt Goldstein et Canguilhem étaient, nous semble-t-il, sur la bonne voie quand ils insistaient sur le fait que plutôt que de dire ce qui est unique au niveau des entités biologiques, nous devrions prêter attention à l’observateur: être un organisme c’est avoir un point de vue sur les organismes, tel qu’il produit de l’intelligibilité, qu’il révèle les organismes comme des entités productrices de signification (voir Starobinski, qui commente que «comprendre nous met en présence d’une totalité signifiante»)[29]. Notons que cette approche valorise une dimension constructiviste dans la définition de la vie et de l’entité pertinente (comme la définition célèbre de la santé par l’Organisation Mondiale de la Santé, qui est assez vaste pour inclure tous les sens du bien-être: «La santé est un état de bien-être physique, mental et social complet, et pas seulement l’absence de maladie ou d’infirmité»)[30]. Ceci étant, il peut bien y avoir des «faits» ou «invariants» biologiques, mais nous restons les créateurs de nos mondes. Mais qu’est-ce que ce «nous»? Les humains? Les mammifères supérieurs? Toutes les créatures vivantes? Canguilhem n’est jamais très clair sur les frontières de ce concept: est-ce que, comme l’Umwelt d’Uexküll, il s’applique aussi aux tiques et aux cloportes? Il affirme parfois que vivre c’est, «même chez une amibe, préférer et exclure», et plus loin, que «la vie d’un vivant, fût-ce d’une amibe, ne reconnaît les catégories de santé et de maladie que sur le plan de l’expérience […]. La science explique l’expérience, mais elle ne l’annule pas pour autant»[31]. Mais la plupart du temps, son intérêt se porte sur les humains en tant qu’agents subjectifs, embodied – sur les objets de la science médicale, pris entre des normes sociales et biologiques. Et c’est ce pourquoi nous suggérons qu’on peut qualifier sa position d’humaniste.

D’un autre côté, ce ne peut être le dernier mot, ou le dernier terme de l’argumentation: comme nous l’avons mentionné plus haut, Canguilhem est également plus biocentrique et biochauviniste que bon nombre de ses contemporains. Cela devient plus clair si nous opposons les travaux de Canguilhem au caractère volontiers disembodied d’un grand nombre de travaux en biologie théorique: en opposition à cela, il veut exprimer un certain type de vitalisme. Il est clair que Canguilhem n’est pas le genre de penseur dont le but est de découvrir des «lois organismiques» (comme Walter Elsasser), qui dresse une liste de blanchisserie de caractéristiques ontologiques uniques ou qui, plus crûment, promeut une métaphysique des entéléchies, comme a pu le faire Hans Driesch, qui convertit sa chaire de biologie en chaire de philosophie de façon à réinventer un aristotélisme naïf fondé sur ses premiers travaux expérimentaux en Entwicklungsmechanik (et qu’Erik Peterson a décrit justement comme un «bioexceptionnalisme»[32]): un empire dans un empire, ou un «royaume dans un royaume» pour ainsi dire, une métaphysique de l’oursin. Canguilhem commente ainsi le passage de Driesch de la science à la métaphysique:

Le biologiste vitaliste devenu philosophe de la biologie croit apporter à la philosophie des capitaux et ne lui apporte en réalité que des rentes qui ne cessent de baisser à la bourse des valeurs scientifiques, du fait seul que se poursuit la recherche à laquelle il ne participe plus. Tel est le cas de Driesch abandonnant la recherche scientifique pour la spéculation et même l’enseignement de la philosophie. Il y a là une espèce d’abus de confiance sans préméditation. Le prestige du travail scientifique lui vient d’abord de son dynamisme interne. L’ancien savant se voit privé de ce prestige auprès des savants militants. Il croit qu’il le conserve chez les philosophes. Il n’en doit rien être. La philosophie, étant une entreprise autonome de réflexion, n’admet aucun prestige, pas même celui de savant, à plus forte raison celui d’ex-savant[33].

  1. Phénoménologie et mysticisme de la chair

Canguilhem n’est donc pas un métaphysicien des entéléchies; il n’est pas non plus un défenseur quasi-religieux de la souveraineté de la vie organique comme Hans Jonas; ni un défenseur de l’anthropologie philosophique comme Helmut Plessner[34]. À certains égards, et particulièrement dans son article de 1966 intitulé Le concept et la vie, qui débute sur une longue réflexion à propos d’Aristote, il semble plus proche de Marjorie Grene et de sa tentative de retourner à une téléologie aristotélicienne[35].

Au contraire de la plupart de ces penseurs, de même que des phénoménologues de la corporéité, Canguilhem ne se fonde pas sur une subjectivité romantique, dans le sens où Jean-Marie Schaeffer, par exemple, la décrit:

dans la phénoménologie la problématique de la corporéité se situe dans le cadre d’une démarche qui continue à accepter comme axiome le privilège épistémique de l’inspection de la conscience par elle-même[36].

En opposition explicite à Varela et à la plupart des penseurs susmentionnés (à l’exception de Grene), la prise en compte de l’évolution darwinienne ne pose aucun problème à Canguilhem[37], et n’est pas engagé en effet dans un projet de «refondation», ou de réinvention quelconque d’un programme pour la science (à d’occasionnelles et tardives exceptions qui manifestent une attitude plus réactive à l’égard la marche de la science, ainsi dans ses remarques sur certaines figures de la psychologie, des sciences cognitives, et des neurosciences cognitives dans l’article intitulé Le cerveau et la pensée[38], remarques qui, elles-mêmes, donnent plus d’ampleur à des critiques déjà formulées dans le fameux texte de Canguilhem Qu’est-ce que la psychologie? de 1958. Mais est-il toujours «biochauviniste», affirmant qu’il y a un «espace-temps biologique» spécifique?

De même, alors que Canguilhem met en garde son lecteur contre les dangers inhérents à l’affirmation du fait que les entités vivantes sont comme un empire dans un empire (imperium in imperio)[39], il affirme ensuite – comme il le fait longuement dans «Le concept et la vie», que c’est la Vie elle-même – avec un très grand V, qui détermine les êtres vivants à agir de façon interprétante, conforme à des buts, normative et vitale. La vie «déconcerte la logique»[40]. Dans une conférence sur le problème des régulations dans l’organisme et dans la société, il affirme plus avant que

Un organisme, c’est un mode d’être tout à fait exceptionnel en ceci qu’entre son existence et sa règle ou sa norme, il n’y a pas de différence à proprement parler. Du moment qu’un organisme est, du moment qu’il vit, c’est qu’il est possible, c’est-à-dire qu’il répond à un idéal d’organisme; la norme ou la règle de son existence est donnée dans son existence même[41].

«Un mode d’être tout à fait exceptionnel»: voilà qui sonne comme une spécificité ontologique. Il articule plus finement ce que nous pourrions qualifier de sinuosité dialectique de la relation entre la vie elle-même et le vitalisme du penseur dans Le normal et le pathologique:

C’est la vie elle-même, par la différence qu’elle fait entre ses comportements propulsifs et ses comportements répulsifs, qui introduit dans la conscience humaine les catégories de santé et de maladie. Ces catégories sont biologiquement techniques et subjectives et non biologiquement scientifiques et objectives[42].

Relevons ici le subjectivisme – le recours à une subjectivité fondationnelle – que nous avions rattaché plus tôt relié à une tendance particulièrement antinaturaliste en phénoménologie, et à la théorie plus récente de l’énactivisme, associée en particulier à Varela, qui affirme souvent que la vie est vécue hors du monde physique:

La vie n’est pas physique dans le sens matérialiste courant de structure et de fonction purement externes. La vie produit une forme d’intériorité, l’intériorité du soi et de la production de signification. [...] [Nous] avons ainsi besoin d’une notion élargie du physique pour rendre compte de l’organisme ou de l’être vivant[43].

En effet, Canguilhem lui-même, qui a l’air moins prudent que d’habitude, dira parfois qu’«En bref, il est impossible d’annuler dans l’objectivité du savoir médical la subjectivité de l’expérience vécue du malade»[44]. Mais la subjectivité en question n’est, pour être honnête, jamais désincarnée, n’est jamais réduite à un pur ego contemplant la réalité de la chair comme un marin sur un navire, selon la formule cartésienne (où il s’agit en fait du pilote du navire). La raison pour laquelle Canguilhem s’écarte franchement de la phénoménologie de la corporéité, c’est parce qu’un tel projet est sans cesse tenté par une distinction fondationnaliste entre Leib en tant qu’intériorité et Körper en tant qu’extériorité (ainsi que le relève Schaeffer dans le passage cité plus haut). De Merleau-Ponty à Varela et Thompson, on considère que le corps vivant (qui est en réalité le corps dans leur discours) existe au moins en partie «hors de l’espace physique» (c’est Merleau-Ponty qui l’affirme)[45]. Ainsi, le corps vivant – et de fait, tout organisme – «est un individu dans un sens qui n’est pas celui de la physique même moderne»[46].

Il demeure que Canguilhem est, à sa manière, un penseur de la corporéité, ce que nous avons soutenu en contrastant sa position avec celle du (néo-)vitalisme de Driesch comme avec celle de la métaphysique de l’organisme produite par Jonas. Mais il ne saurait que faire de ces prises de positions additionnelles en faveur d’une dimension «non-physique» de la Vie. En effet, nous ne pensons pas que Canguilhem, le médecin, invoquerait, comme le font des théoriciens contemporains, une «vitalité intrinsèque à la matérialité même», où il est recommandé de « détach[er] la matérialité des figures d’une substance passive, mécaniste ou animée par la divinité»[47]. La vie est trop centrale pour lui – non pas les forces vitales et les entéléchies, ni la vie cosmique ou impersonnelle, mais la vie d’agents incarnés. De la même façon, le caractère particulièrement médical de son vitalisme (manifeste dans son intérêt pour Bichat et d’autres figures similaires), qui peut se traduire dans la proposition élémentaire selon laquelle tous les êtres vivants meurent et tombent malades, y comprise selon dimension irréductiblement axiologique, se distingue de formes de vitalisme fondées sur l’embryologie et ses mystères: «le patient est un Sujet» (avec un S majuscule)[48].

À savoir qu’une réflexion philosophique sur la santé et la maladie, sur la «normativité» de l’organisme et de son expérience (Goldstein-Canguilhem), se trouve à une certaine distance d’une réflexion sur l’œuf, son potentiel, et la métaphysique que l’on peut en dériver. Il est cependant évident que toutes les réflexions scientifiques et théoriques sur la singularité des systèmes développementaux ne requièrent pas nécessairement de défendre une singularité métaphysique de la vie, même dans leurs moments les plus holistiques, organismiques[49]. Inversement, et malgré leur affinité partagée pour Goldstein, il est plus qu’improbable que Canguilhem embrasse un mysticisme de la chair, comme le fait Merleau-Ponty dans la Phénoménologie de la Perception:

Comme le sacrement non seulement symbolise [...] une opération de la Grâce, mais encore est la présence réelle de Dieu [...] de la même manière le sensible a non seulement une signification motrice et vitale mais n’est pas autre chose qu’une certaine manière d’être au monde qui se propose à nous d’un point de l’espace, que notre corps reprend [...] et la sensation est à la lettre une communion[50].

Cette fascination pour la chair en tant qu’elle serait en quelque sort «à part» du monde physique est présente, avant Merleau-Ponty, dans les Ideen II de Husserl et, bien plus tard, chez Didier Anzieu et sa conception du «Moi-Peau», ou encore chez Jean-Luc Nancy et sa fascination chrétienne-laïcisée pour la corporéité qua incarnation. Ils semblent répéter verbatim les puissantes expressions mystiques sur un corps «hors de ce monde», de figures telles que Hildegarde de Bingen au XIIe siècle. Il est certes possible de dériver d’autres positions à partir du travail de Merleau-Ponty, notamment depuis l’un de ses premiers ouvrages, La structure du comportement[51].

Il nous semble que la défense canguilhemienne d’une des grandes propositions du spinozisme (nous sommes tous des parties de la Nature, il n’y a pas d’empire dans l’empire), sa position nietzschéenne à l’égard de la vie comme production de valeur(s), et sa reconnaissance darwinienne du rôle du hasard et de l’évolution, pour énumérer trois caractéristiques fondamentales de sa pensée, le placent en désaccord avec une telle position. Cela est le cas même si, dans son commentaire de Merleau-Ponty dans une conférence tardive sur la santé, Canguilhem pondère avec ce qui nous semble être une nuance de distance, de regret, ou d’ironie, les limitations d’une conceptualisation du corps vivant comme «inaccessible aux autres, accessible à son seul porteur titulaire»[52].

Ce sentiment d’une sphère «privée», d’une intériorité inaccessible, est une caractéristique centrale de nombreux argumentaires sur ce que sont les organismes et la manière dont ils diffèrent des machines. C’est ce qu’entend Schaeffer dans le passage cité plus haut, quand il évoque une compréhension de la corporéité qui tient pour fondationnel le «privilège épistémique» d’une conscience de soi[53]. Il est évident que seule une partie des argumentaires qui soutiennent une différence catégorielle entre organismes et machines se fonde sur une définition de cette différence dans les termes d’une intériorité plus profonde ou d’un soi. Mais de plus en plus souvent, depuis le XVIIIe siècle, et jusque dans la phénoménologie au XXe siècle (ainsi que dans ses variantes embodied), l’attention est portée sur le soi, ce qui également manifeste dans l’insistance de Varela, dans ses derniers articles, sur une «science à la première personne»[54]. On pourrait dire que savoir dans quelle mesure Canguilhem souscrit ou non à la thèse d’une subjectivité fondationnelle soit «dans le corps» ou en tant que caractéristique irréductible «du corps», repose sur la question de savoir dans quelle mesure il est phénoménologue.

 

  1. Conclusion

Canguilhem était un vitaliste autoproclamé (même s’il le proclamait avec une certaine ironie), ainsi qu’un «biochauviniste», dans le sens où en tant que penseur du normal et du pathologique, d’une «connaissance de la vie», et en tant que disciple de Goldstein, il comptait parmi les grandes figures de ce qu’on appelait «biophilosophie» au milieu du XXe siècle – un projet qui diffère de la philosophie de la biologie actuelle de diverses façons, comme nous l’avons indiqué, notamment parce que la biophilosophie perçoit que la philosophie, et parfois même la métaphysique, pourrait dicter ses conditions à la biologie, étant donné que les êtres vivants ont des caractéristiques (valeurs, actions conformes à des buts, conscience?) qui demeurent inaccessibles à la science quantitative. Au contraire, la philosophie de la biologie est pour une grande part un projet engagé dans la clarification conceptuelle de la science «émergée», face à laquelle elle n’est pas en position d’antagonisme. En revanche, il est important de noter que même en tant que biophilosophe, Canguilhem ne manifeste aucune hostilité à l’égard de la pensée évolutionniste, ce qui est le cas chez Goldstein et Varela par exemple, de même qu’on ne saurait trouver chez lui d’appel potentiellement réactionnaire à un retour au vieux monde aristotélicien (ce qui est le cas chez Jonas).

Certains biophilosophes restent à une plus grande distance de la science normale que les autres. Goldstein, qui est assez proche de certaines idées que Canguilhem allait rendre célèbre dans Le normal et le pathologique, soutient dans son magnum opus de 1934 qu’un organisme normal est un organisme qui s’auto-actualise:

L’organisme qui réalise ses propriétés intrinsèques ou, ce qui signifie la même chose, qui accomplit avec succès les tâches auxquelles son milieu l’expose, est “normal”[55].

Paraphrasant peut-être inconsciemment Goldstein, Jonas décrit dans un de ses derniers articles les organismes comme «des choses dont l’existence est accomplie par eux-mêmes, ce qui signifie qu’ils n’existent que par ce qu’ils font», ce qu’il paraphrase ainsi: «leur activité en tant que telle est leur être»[56]. Même si cela diverge de la biologie prédominante (qu’elle soit moléculaire, évolutionniste, développementale etc.), cela ne relève pas explicitement d’un anti-naturalisme; c’est également une forme faible de biochauvinisme, en ce sens qu’est ici évoquée, comme caractéristique principale des organismes, une fonction ou une activité plus qu’une substance. À contrario, l’insistance de Raymond Ruyer sur la façon dont l’organisme transcende l’univers spatial, se maintenant à travers le temps grâce à son «potentiel», lequel n’appartient pas au monde spatio-temporel, relève d’une métaphysique plus révisionniste. Pour Ruyer, les organismes possèdent une unité au-delà des catégories spatiales, elles ont un caractère fondamentalement historique[57]. Ruyer semble effrayé par l’idée d’un univers composé de matière inanimée, d’un monde de chocs et de déplacements entièrement explicable par les lois de la mécanique – un univers dans lequel l’organisme n’est plus qu’une machine, comme on l’a déjà vu[58].

Nous avons tenté ici d’établir des distinctions au sein d’une série de positions, qui ne se recoupent pas, et dans lesquelles un terme évaluatif tantôt appelé «l’organisme», «le corps (vécu)», «la Vie» etc., est présenté comme spécial dans diverses incarnations et selon différents modes, et généralement opposé au reste de la nature physique. Si Canguilhem partage l’intuition pour laquelle un organisme «actualise» toujours «un potentiel», en relation dynamique avec une pluralité de normes et un environnement que l’on fait «sien» (une Umwelt), il ne s’oppose pas à la biologie moderne, et ne cherche en aucun cas à «réintroduire la catégorie de sujet dans la biologie», contrairement à Varela[59]. Il développe son argumentation à partir de propriétés d’entités biologiques existantes – ce sont parfois les cellules, parfois les monstres, ou les environnements, mais plus souvent les personnes, qu’on les considère comme agents ou comme patients. Comme il le dit dans l’introduction à Le normal et le pathologique, il n’est pas présomptueux au point de déclarer qu’il pourrait renouveler la médecine en lui incorporant une métaphysique[60]. Notre ambition ici n’est pas d’articuler une «philosophie canguilhemienne de la médecine» (ce que certains ont fait)[61]; il ne fait aucun doute qu’une telle philosophie ressemblerait par d’importants aspects aux réflexions sur l’importance d’une médecine «centrée sur le patient», et porterait son attention sur les dimensions des théories de Goldstein et Canguilhem au sein desquelles l’organisme (ou la personne, ou le patient) est créateur de normes (de stabilité, de santé, de survie etc.), dans un sens partiellement constructiviste. Mais si nous voulons prendre Canguilhem au sérieux, une partie de la métaphysique, du biochauvinisme, de la dimension existentielle de sa pensée nous mènent au-delà des préoccupations pratiques d’une philosophie de la médecine empirique.    

Peut-être faut-il alors distinguer trois propositions fondamentales: le vitalisme fort, fondé sur une métaphysique; le vitalisme faible (que nous avons nommé ailleurs vitalisme fonctionnel), qui est davantage de l’ordre d’une «forme scientifique spontanée» du vitalisme, dénuée de tout ou de la plus grande partie de sa souscription métaphysique, mais tendant vers une perspective holistique, organismique; et enfin la position canguilhemienne, à laquelle il ne donne pas de nom, tant il aime le jeu des apories et porter le masque de l’universitaire. Nous pourrions parler d’un vitalisme non-métaphysique, ou d’un «vitalisme naturalisé»[62] – mais l’on se trouve rapidement face à la difficulté de rendre compte des passages où il parle d’une dimension irréductible, expérientielle de la vie; on pourrait dire qu’aux positions biochauvinistes de la biologie théorique, il ajoute une dimension existentielle. Mais Canguilhem ne semble pas succomber à la tentation d’une intériorité, d’une intimité, d’une privauté sans fond, et de sa concomitante transcendance. Quelque part entre l’appel froid à l’inorganique, et le magnétisme (chaud?) de la transsubstantiation – à quelque distance, alors, de la fascination éprouvée pour une sorte de transcendance de la chair qu’on trouve chez Merleau-Ponty, Varela ou Thompson, où le biochauvinisme touche presque au mystère de la transsubstantiation – le vitalisme de Canguilhem, son biochauvinisme, ses curieux appels à «la vérité du corps»[63] renferment sans doute des leçons pour la pensée contemporaine de la corporéité, qui ne sont ni obsessionnellement réductionnistes, ni fantasmagoriquement holistes.

 


[1] M. Fichant, Georges Canguilhem et l’idée de philosophie, in E. Balibar, D. Lecourt et al., Georges Canguilhem. Philosophe, historien des sciences, Albin Michel, Paris 1993, p. 48.

[2] J. Gayon, Vitalisme et philosophie de la biologie, in P. Nouvel (dir.), Repenser le vitalisme, PUF, Paris 2011.

[3] Voir l’étude d’E. Giroux, Après Canguilhem: définir la santé et la maladie, PUF, Paris 2010, pour une distinction utile entre Canguilhem et la philosophie analytique de la médecine.

[4] Voir la belle étude de H. Schmidgen, Thinking technological and biological beings: Gilbert Simondon’s philosophy of machines, «Revista do Departamento de Psicologia UFF», 17, 2, 2005, pp. 11–18.

[5] G. Canguilhem, Aspects du vitalisme (1946-1947), in La connaissance de la vie, édition revue, J. Vrin, Paris 1980; et Préface a La formation du concept de réflexe aux XVIIe et XVIIIe siècles (1955), J. Vrin, Paris 1977.

[6] S. Geroulanos, Beyond the Normal and the Pathological: Recent Literature on Georges Canguilhem, «Gesnerus», 66, 2, 2009.

[7] Pour ce genre de proclamation, voir J. Bennett, A Vitalist Stopover on the Way to a New Materialism, in D. Coole & S. Frost (dir.), New Materialisms: Ontology, Agency, and Politics, Duke University Press, Durham 2010.

[8] Voir à ce sujet C.T. Wolfe, Il fascino discreto del vitalismo settecentesco e le sue riproposizioni, in P. Pecere (a cura di), Il libro della natura, vol. 1: Scienze e filosofia da Copernico a Darwin, Carocci, Roma 2016; S. Normandin et C.T. Wolfe (dir.), Vitalism and the scientific image in post-Enlightenment life science, 1800-2010, Springer, Dordrecht 2013.

[9] F. Hegel, Enzyklopädie der philosophischen Wissenschaften im Grundrisse (1830), vol. II, Die Naturphilosophie, § 359, in Werke, Theorie Werkausgabe, hrsg. E. Moldenhauer & K.M. Michel, Frankfurt, Suhrkamp, vol. 9, 1986, p. 468.

[10] J. von Uexküll, Milieu animal et milieu humain, tr. fr. Payot & Rivages, Paris 2010, p. 48. Voir l’analyse d’O. Surel, Jakob von Uexküll: une ontologie des milieux, «Critique», n° 803-4, 2014.

[11] M. Foucault, La vie: l’expérience et la science, «Revue de métaphysique et de morale», 90e année, n° 1: Canguilhem, 1985, p. 13.

[12] G. Canguilhem, Le normal et le pathologique, in La connaissance de la vie, cit., p. 167. Voir également Canguilhem, Le Normal et le pathologique, 3e édition revue, PUF, Paris 1972, p. 77, 155.

[13] K. Goldstein, Der Aufbau des Organismus: Einführung in die Biologie unter besonderer Berücksichtigung der Erfahrungen am kranken Menschen, Martinus Nijhoff, La Haye 1934; La structure de l’organisme, tr. fr. Gallimard, Paris 1951.

[14] A. Weber, F.J. Varela, Life after Kant: Natural purposes and the autopoietic foundations of biological individuality, «Phenomenology and the Cognitive Sciences», 1, 2002, p. 102.

[15] G. Canguilhem, Aspects du vitalisme, in La connaissance de la vie, cit., p. 88.

[16] Voir l’étude de Canguilhem par Jean Gayon, Le concept d’individualité dans la philosophie biologique de Georges Canguilhem, in M. Bitbol & J. Gayon (dir.), L’épistémologie française 1830-1970, PUF, Paris 2006, propose des pistes de lecture importantes pour le rapport conceptuel Goldstein-Canguilhem.

[17] H. Jonas, The Phenomenon of Life. Towards a Philosophical Biology, Harper & Row / Dell, New York 1966; Id., Le phénomène de la vie: vers une biologie philosophique, tr. fr. De Boeck Université, Bruxelles 2001; nous citerons l’édition originale, ici p. 79.

[18] H. Jonas, The Phenomenon of Life, p. 3. Nous ne suggérons pas que Jonas était panpsychiste, mais plutôt que ce qui l’intéresse n’est pas la Nature en tant que telle, mais les systèmes conscients, auto-régulateurs en tant que tels – et, par extension, un système qui permet à de tels organismes d’exister. Un philosophe familier de Hegel pourrait reconnaître ici une forme de philosophie de la nature dans laquelle les organismes ne comptent qu’en tant qu’ils sont des formes de subjectivité (faibles ou provisionnelles) et en dernier lieu, de l’Esprit.

[19] G. Canguilhem, Aspects du vitalisme, cit., p. 95.

[20] K. Goldstein, La structure de l’organisme, cit., p. 437.

[21] K. Goldstein, seconde préface à l’édition américaine (1963), in The Organism: a holistic approach to biology derived from pathological data in man, reprint, Zone Books, New York 1995, p. 18 (nous traduisons). Que la dimension méthodologique et heuristique (et donc non-ontologique, ou ontologiquement neutre) de cette théorie soit un trait positif, ne va pas de soi pour tout lecteur de Goldstein: ainsi Hans Jonas, précisément un théoricien qui défend une vision anti-naturaliste de l’organisme, hostile aux explications scientifiques (notamment «mécanistes») héritées de la Révolution Scientifique, considère que la lecture méthodologique de son œuvre proposée par Goldstein lui-même est «trop modeste» (Kurt Goldstein And Philosophy, «American Journal Of Psychoanalysis», 19, 1959, p. 162).

[22] Pour plus de détails sur l’existentialisme humaniste du jeune Canguilhem, ainsi que sa lecture d’Alain, avant son retour au vitalisme, voir l’analyse de G. Bianco, Pacifisme et théorie des passions: Alain et Canguilhem, in M. Murat et F. Worms (dir.), Alain, littérature et philosophie mêlées, Editions rue d’Ulm, Paris 2012.

[23] G. Canguilhem, Le Normal et le pathologique, cit., p. 131.

[24] Sur les théories «organisationnelles» voir M. Mossio, A. Moreno, Organisational closure in biological organisms, «History and Philosophy of the Life Sciences», 32, 2-3, 2010; et A. Moreno et M. Mossio, Biological Autonomy. A Philosophical and Theoretical Enquiry, Springer, Dordrecht 2014.

[25] Pour l’une des rares prises en compte de ce problème, voir Di Paolo, Extended Life, «Topoi», 28, 2009, où il critique Varela pour sa «position vague des systèmes vivants définis par des listes de propriétés (croissance, reproduction, réactivité)», p. 14. Pour un prolongement de cette question, voir E. Machery, Why I stopped worrying about the definition of life… And why you should as well, «Synthese», 185, 2012 (spécifiquement son évaluation critique de ceux qu’il appelle les «définitionnistes de la vie» qui «ont sans cesse mélangé des intuitions communes avec des considérations scientifiques», p. 161). 

[26] Voir par exemple A. Weber, F.J. Varela, Life after Kant, cit.; N. Perret, A Symmetrical Approach to Causality in Biology, «Philosophia Scientiæ», 16, 3, 2012; Simeonov, Brezina et al., Stepping beyond the Newtonian Paradigm in Biology, in P.L. Simeonov, L.S. Smith, A.C. Ehresmann (dir.), Integral Biomathics, Springer, Dordrecht 2012.

[27] E. Kant, Kritik der Urteilskraft, cit., § 73; P. Huneman, Métaphysique et biologie. Kant et la constitution du concept d’organisme, Kimé, Paris 2008, chapitre 7.

[28] E. Kant, Kritik der Urteilskraft, cit., § 67, 73.

[29] J. Starobinski, L’idée d’organisme, Centre de Documentation Universitaire / Collège philosophique, Paris 1956, p. 5; la question de savoir si l’on peut étendre cela aux animaux non-humains reste ouverte à la discussion.

[30] Préambule à la Constitution de l’Organisation Mondiale de la Santé adoptée à la Conférence Internationale sur la Santé, les 19-22 juin 1946 à New York; signée le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 Etats (Rapports Officiels de l’OMS, n°2, p. 100) et entré en vigueur le 7 avril 1948. La définition n’a pas été amendée depuis 1948.

[31] G. Canguilhem, Le Normal et le pathologique, cit., p. 84 et p. 131, nous soulignons.

[32] E. Peterson, The Conquest of Vitalism or the Eclipse of Organicism? The 1930s Cambridge Organiser Project and the Social Network of Mid-Twentieth Century Biology, «British Journal for the History of Science», 47, 173-2, 2014.

[33] G. Canguilhem, Aspects du vitalisme, cit., p. 94. Canguilhem reprochera également à Driesch son déplacement des concepts biologiques sur le terrain politique; on songe à des textes tel que Das Überwindung des Materialismus, de 1935, dans lequel Driesch présente l’entéléchie comme le Führer de l’organisme.

[34] Quoique les ressemblances entre Canguilhem et Plessner soulignées par Thomas Ebke dans une belle communication au colloque Canguilhem: les traces du métier, Institut d’Etudes Avancées, Paris, novembre 2015, furent troublantes.

[35] M. Grene, Approaches to a Philosophy of Biology, Basic Books, New York 1968; The Understanding of Nature: Essays in Philosophy of Biology, Reidel, Dordrecht 1974. Grene elle-même s’est prononcée en faveur du projet de Canguilhem: The philosophy of science of Georges Canguilhem: A transatlantic view, «Revue d’histoire des sciences», 53, 1, 2000.

[36] J.-M. Schaeffer, La fin de l’exception humaine, Gallimard, Paris 2007, p. 118. Pour une discussion intéressante de Canguilhem en tant que phénoménologue, voir M. Gérard, Canguilhem, Erwin Straus et la phénoménologie: La question de l’organisme vivant, «Bulletin d’analyse phénoménologique», 6, 2, 2010; pour une lecture également convaincante qui cherche à éloigner Canguilhem de la phénoménologie, voir J. Sholl, The Knowledge of Life in Canguilhem’s Critical Naturalism , «Pli», 23, 2012, et particulièrement Id., Problematizing a Phenomenology of Life. Nous sommes plus proche de l’interprétation de Sholl – et il ne faut pas perdre de vue les objections contre Husserl et en faveur de Foucault que présente Canguilhem (par exemple dans son texte sur Les Mots et les chosesMort de l’homme ou épuisement du cogito? «Critique», 242, 1967) – mais il faut reconnaître qu’il y a des éléments dans Canguilhem qui se prêtent à la lecture de Gérard.

[37] G. Canguilhem, Le Normal et le pathologique, cit., p. 90; P.-O. Méthot, On the genealogy of concepts and experimental practices: Rethinking Georges Canguilhem’s historical epistemology, «Studies in History and Philosophy of Science», 44, 2013.

[38] Id., Le Cerveau et la pensée (1980), in E. Balibar, D. Lecourt et al. (dir.), Canguilhem, philosophe, historien des sciences, cit.

[39] G. Canguilhem, Aspects du vitalisme, cit., p. 95.

[40] Id., La formation du concept de réflexe, cit., p. 1.

[41] Id., Le problème des régulations dans l’organisme et la société, in Écrits sur la médecine, Éditions du Seuil, Paris 2002, pp. 106-107.

[42] Id., Le normal et le pathologique, cit., p. 150

[43] E. Thompson, Mind in life: biology, phenomenology, and the sciences of mind, Harvard University Press, Cambridge, Mass. 2007, p. 238.

[44] G. Canguilhem, Puissance et limites de la rationalité en médecine (1978), in Études d’histoire et de philosophie des sciences, p. 409; cet article a été ajouté à la dernière édition de l’ouvrage.

[45] «L’esprit n’utilise pas le corps, mais se fait à travers lui tout en le transférant hors de l’espace physique», M. Merleau-Ponty, La structure du comportement, PUF, Paris 1942, p. 225.

[46] Ibid., p. 165.

[47] J. Bennett, Vibrant Matter: A Political Ecology of Things, Duke University Press, Durham 2010, p. XIII.

[48] G. Canguilhem, Puissance et limites de la rationalité en médecine, cit., p. 409; pour davantage de développements à propos de Canguilhem sur les valeurs et la subjectivité, voir J. Sholl, Problematizing a Phenomenology of Life: Goldstein, Merleau-Ponty and Canguilhem, ms. inédit.

[49] S. Oyama, Biologists behaving badly: Vitalism and the language of language, «History and Philosophy of the Life Sciences», 32, 2–3, 2010.

[50] M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard, Paris 1945, p. 245.

[51] Nous examinons cette question plus longuement dans notre article Éléments pour une théorie matérialiste du soi, in F. Pépin (dir.), La Circulation entre les savoirs au siècle des Lumières, Hermann, Paris 2011.

[52] G. Canguilhem, La santé, concept vulgaire et question philosophique (1988), in Écrits sur la médecine, Éditions du Seuil, Paris 2002, p. 65.

[53] J.-M. Schaeffer, La fin de l’exception humaine, Gallimard, Paris 2007, p. 118.

[54] F.-J. Varela, J. Shear, First-person methodologies: why, when and how, «Journal of Consciousness Studies», 6, 2-3, 1999.

[55] K. Goldstein, Der Aufbau des Organismus, cit., p. 265; La structure de l’organisme, cit., p. 341 (nous remercions Alexandre Métraux pour son aide avec ce passage).

[56] H. Jonas, Philosophische Untersuchungen und metaphysische Vermutungen, Insel, Frankfurt am Main 1992, p. 82.

[57] R. Ruyer, Éléments de psycho-biologie, PUF, Paris 1946, pp. 8, 14, 27, 58, 94.

[58] Id., Néo-finalisme, PUF, Paris 1952, p. 166.

[59] A. Weber et F.-J. Varela, Life after Kant, cit., p. 117.

[60] G. Canguilhem, Introduction a Le normal et le pathologique, cit., p. 9.

[61] Voir P. Trnka, Subjectivity and Values in Medicine: The Case of Canguilhem, «The Journal of Medicine and Philosophy», 28, 4, 2003.

[62] Nous remercions Pierre-Olivier Méthot pour cette suggestion. Pour une idée similaire de «vitalisme fonctionnel», voir notre discussion dans Il fascino discreto del vitalismo settecentesco e le sue riproposizioni, cit.

[63] «La santé, concept vulgaire et question philosophique», p. 67.

download pdf

Lascia un commento

Il tuo indirizzo email non sarà pubblicato. I campi obbligatori sono contrassegnati *